Clarifier ses objectifs en pâturage
Savoir clarifier ses objectifs permet de :
- S'assurer d'avoir de la ressource au pâturage disponible à différentes époques de l'année : augmenter la quantité et la qualité en phase avec la croissance de l’herbe, c'est connu. Mais on peut aussi avoir pour objectif de développer des ressources décalées.
- Renouveler les végétations : la végétation dépend du sol, du climat mais aussi des pratiques. Ces dernières font évoluer la flore sur des pas de temps saisonnier, annuel et pluriannuel en passant par la mort et la naissance d’autres plantes. Définir des objectifs d’évolution de la végétation par les pratiques permet d’être sûr de la fiabilité de cette ressource sur le long terme et d’éviter de diminuer le potentiel productif de la parcelle.
- Ne pas subir les "contraintes" administratives et devenir autonome dans la décision : définir des objectifs qui prennent en compte la structuration des végétations et les besoins des animaux permet de ne pas se perdre dans des objectifs purement administratifs lors de la mise en place de contrat agro-environnemental.
- Attribuer la "bonne" parcelle au "bon" lot d'animaux et au "bon" moment : changer de regard sur les handicaps de certaines parcelles permet de valoriser leurs qualités.
- Raisonner la restauration d'une parcelle en l'intégrant dans la chaîne de pâturage : avant de déboiser, débroussailler ou fertiliser une parcelle, il faut avoir une idée claire sur le rôle que celle-ci va jouer.
Les éleveurs cherchent souvent à mettre en place des pratiques qui permettent d’augmenter le rendement et de consommer des herbes jeunes de forte valeur nutritive. Or si ces objectifs sont relativement cohérents avec la volonté de distribuer une alimentation standardisée et contrôlée en bâtiment, ils amènent des difficultés dans les exploitations tournées vers le pâturage et les surfaces diversifiées. Le risque est accru de devoir broyer les refus, d’épuiser le milieu ou de délaisser les surfaces dites « moins productives ».
Décrire ses objectifs
Pour les éleveurs, un objectif implicite ressort très souvent : « avoir de l’herbe ». Or, l’herbe de printemps n’a pas le même intérêt que l’herbe d’été ou celle d’automne. Toutes ces « herbes » n’ont pas les mêmes propriétés et requièrent des pratiques différentes pour les valoriser et les renouveler au fil des années.
Le métier d’éleveur consiste à organiser la rencontre entre des troupeaux dont les besoins alimentaires varient et des végétations dont les disponibilités varient également. Certaines de ces variations sont prévisibles (ex : stade physiologique des animaux et des plantes) ; d’autres variations ne le sont pas (ex : aléas climatiques, etc.).
Ainsi, la réflexion sur les objectifs doit amener les éleveurs à prendre en compte le rôle de la parcelle dans le système, les besoins alimentaires des animaux et l’évolution attendue des végétations. Pour cela, il faut souvent faire des hypothèses sur les interactions entre la végétation, le troupeau et les pratiques.
Des manières de définir un objectif et exemples associés :
Objectif :
Du point de vue du rôle de la parcelle
Manière de le définir :
Répondre au rôle attribué dans la chaîne d’alimentation : utilisation en pâture ou fauche, pour des lots d’animaux, à des saisons particulières, avec ou non un rôle de sécurité.
Exemple : Une parcelle :
- pour faire la mise à l’herbe le plus tôt possible
- pour faire du stock de foin
- sur laquelle on peut repasser souvent
- qui sert de sécurité pour la fin d’été
Objectif :
Du point de vue de l’animal
Manière de le définir :
- Offrir des ressources adaptées pour couvrir les besoins alimentaires : niveau de besoins alimentaires des lots suivant les périodes de l’année selon leur stade physiologique ou leur niveau de production, qualité du fourrage nécessaire, complémentation envisagée,etc.
- Développer l’aptitude des animaux : apprentissage à la marche, à la consommation de végétation diverisfiée, etc
- Aménager la parcelle : taille, clôture, point de fixation, abris, etc.
Exemple : Du fourrage :
- pour venir 10 ou 15 jours à la fin de printemps et 10 jours à l’automne
- pour 30 brebis en lactation (forts besoins)
- complet, avec un mélange feuilles et fibres équilibré
- dans un parc avec des abris, et l’eau au fond.
Objectif :
Du point de vue de la végétation
Manière de le définir :
- Maintenir et renouveler les propriétés de la végétation : fonctionnalité, productivité, saisonnalité, souplesse, valeur alimentaire
- Faire évoluer la végétation : diversification de la strate herbacée, densification des graminées à feuilles larges, etc.
Exemple : Des végétations :
- avec un bon report sur pied
- diversifiées, équilibrées entre les joncs et les graminées
- où le pâturage maîtrise le prunellier autour des massifs.
Un objectif bien formulé doit permettre de comprendre à la fois les enjeux à l’échelle de l’exploitation, sur le troupeau et sur la végétation.
Exemple d’objectif : Une parcelle pâturée au printemps et en automne, pour des brebis en lactation sans complément, avec une végétation qui reste diversifiée et dont les ronces sont stabilisées par le pâturage.
Les conditions pour réussir
- Avoir une réflexion globale sur le système même si c’est pour clarifier un objectif à l’échelle parcellaire : « Le circuit de pâturage, c’est un jeu de calage »
- Apprendre à observer la parcelle et caractériser ses propriétés pour savoir quel rôle elle peut jouer dans le système : « Ouvrir la palette des possibles »
- Partager les objectifs parcellaires au sein d’un GAEC même lorsque les tâches sont réparties entre les associés (une personne se charge de la conduite du troupeau et l’autre de l’entretien ou de la mécanisation de la parcelle)
Vérifier la cohérence entre objectifs, pratiques et évolution de la végétation
Concilier plusieurs objectifs sur une même parcelle est souvent compliqué. Cela impliquerait de mettre en place des pratiques parfois contradictoires. Chaque objectif est légitime, mais il y aura au final une seule pratique mise en œuvre sur une parcelle. Il est donc nécessaire de vérifier la cohérence entre chaque objectif visé, en lien avec les pratiques associées et l’évolution prévisible de la végétation.
Pour résoudre les incohérences, l’éleveur peut être amené à réviser ses objectifs ou chercher un compromis pour finalement décider précisément des pratiques à mettre en œuvre.
Exemple : Faire un apport d’azote pour favoriser le rendement sur une parcelle utilisée en été : l’azote va rendre la végétation plus précoce, avec une durée de vie des feuilles diminuée = incohérence avec le maintien de la valeur alimentaire tard en saison.
Apports théoriques
Globalement, il est possible de s’appuyer sur les propriétés d’une parcelle pour lui faire jouer un rôle dans la chaîne d’alimentation : les prairies pour le printemps ou le stock, les fonds humides pour l’été, les landes pour l’hiver. Mais il est aussi possible de faire évoluer les végétations par les pratiques de manière à amener les propriétés voulues. Pour que le milieu évolue vers un état de végétation qui soit utilisable autrement par la suite, des pratiques adaptées différentes sont mises en œuvre pendant plusieurs années.
Il faut aussi admettre que les pratiques ne garantissent pas dans tous les cas l’atteinte de l’objectif voulu, notamment à cause des aléas naturels et de la complexité des liens entre la végétation, le troupeau et les pratiques.
Exemple : les animaux changent leur comportement alimentaire en fonction du mode de conduite.
En pratique
Les conditions pour réussir :
- Connaître les liens entre pratique et dynamiques des végétations. Pour cela, il suffit d’expérimenter des itinéraires techniques variés pour mutualiser les résultats. Exemple : Le pâturage de printemps pénalise les plantes tardives, la herse stimule la croissance du chiendent, etc.
- Adapter les objectifs aux besoins des animaux et définir des règles de pilotage qui soient cohérentes avec la mise en état de végétation. Exemple : En milieu embroussaillé, « je demanderai à mes animaux en lactation de prélever le meilleur et passer vite à autre chose alors qu’un lot à l’entretien pourra attaquer davantage la broussaille ».
- Accepter que les objectifs évoluent au fil du temps. Exemple : À un instant t, « on va établir un objectif sur une parcelle qui va entrer dans notre cycle de production ». Avec le temps, des parcs qui étaient centraux l’été vont devenir optionnels, car il est plus intéressant d’aller ailleurs à cette période ».
Exemple d'une ferme en Bretagne
Sur cette ferme l’atelier de bovins allaitants est basé sur l’élevage de vaches Nantaises. La saison de pâturage s’étale de mi-avril à novembre. Les animaux, conduits en deux lots, pâturent des marais littoraux.
Caractériser les propriétés de la parcelle
Sur plusieurs de ces parcelles, la végétation est très largement dominée par des herbacées, avec par endroit une abondance de jonc (Jonc acutiflore et Jonc diffus).
Décrire les pratiques initialement mises en œuvre
Définir l'objectif parcellaire
Au cours des réflexions menées ces dernières années pour améliorer la conduite du pâturage, l’objectif suivant a été formulé pour l’ensemble de ces parcelles : maintenir une utilisation agricole des parcelles du marais, faire régresser les espèces dominantes (joncs et broussailles) qui appauvrissent la diversité, et apporter pendant toute la saison de pâturage une alimentation de qualité pour des animaux à besoins moyens.
Analyser la cohérence entre végétation, troupeau, et pratiques
Une réflexion a été engagée pour définir les pratiques adaptées et atteindre cet objectif. Une difficulté est apparue assez rapidement car la régression des joncs et des broussailles implique une rigueur dans la conduite du pâturage :
- la consommation des tiges de jonc très tôt en sortie d’hiver pour éviter la perte d’appétence au cours du printemps ;
- la consommation des jeunes tiges de broussailles plusieurs fois au printemps et en été pour affaiblir leurs réserves et provoque de la mortalité.
Mais la mise en œuvre de cette conduite était difficilement envisageable, en raison :
- des conditions pédoclimatiques des parcelles (mauvaise portance en début de printemps) ;
- des limites de la fauche et du broyage de ces espèces, constatées au cours de ces dernières années : le jonc, la ronce et le prunellier rejettent vigoureusement et deviennent progressivement plus abondants après la coupe ;
- des contraintes de conduite technique de l’éleveur (déplacement des animaux entre les parcelles et sur les routes).
Il y a donc une incohérence avec l'objectif parcellaire.
Pour résoudre les incohérences, l'éleveur a été amené à réviser ses objectifs
Réviser l'objectif parcellaire
Il a accepté une certaine proportion de joncs dans ses parcelles. Il s’agit finalement de maîtriser les joncs et broussailles pour éviter leur augmentation sur les parcelles.
Mettre en œuvre
Ce petit changement dans l’objectif permet d’envisager plus sereinement les pratiques à mettre en œuvre sur les parcelles. L’itinéraire technique est plus souple, il s’agit de consommer de façon complète les zones dominées par les graminées dans chaque parcelle. Ce pâturage limite l’extension du jonc, en favorisant des touffes bien délimitées.
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Sources
SCOPELA, avec la contribution des éleveurs. Fiche technique du réseau Pâtur’Ajuste : Savoir clarifier ses objectifs. Mars 2015. Disponible sur : https://www.paturajuste.fr/parlons-technique/ressource/ressources-generiques/savoir-clarifier-ses-objectifs