Mise en place de pratiques d'hydrologie régénérative au Château Galoupet
Le Château Galoupet, une exploitation viticole située dans le Var, a appliqué les principes de l'hydrologie régénérative sur une zone d'essai pour limiter les conséquences des fortes pluies, notamment l'érosion des sols et améliorer la gestion de l'eau.
Contexte
- Nom de l’exploitation : Château Galoupet
- SAU : L’exploitation est composée de 69 ha de vignes, ainsi que de 77 ha d’espaces boisés en amont des vignes
- Cultures : Cépages de Côte de Provence (Grenache, Rolles, Syrah, Cinsault, Tibouren, …) et il y a également des essais de six variétés tolérantes à la sécheresse et aux maladies
- Ateliers : Ateliers viticole et vinicole
- UTH : 19 (dont structure commerciale et vini)
- Labels :
- Climat : L’exploitation est située proche du littoral. Elle est donc soumise aux épisodes météorologiques typiques du climat méditerranéen : pluies, orages et vents.
Le massif des Maures est composé en majorité de schistes, une roche fortement érodable. Associé aux phénomènes météorologiques, le massif s’érode fortement. La partie boisée du domaine est très en pente ce qui entraîne un fort ruissellement. Cette érosion s’est accentuée après qu’une partie du massif ait subi un important incendie en 2017.
Le stress hydrique peut être important dans la région (295mm de pluie en 2023 contre une moyenne décennale de 620mm !). Le domaine est localisé sur un endroit peu soumis à la grêle et ne subit pas d’épisodes de gel de printemps. De même, les épisodes de températures extrêmes sont rares (canicules).
- Irrigation : Les parcelles de vigne sont irriguées via le réseau canal de Provence.
- Maladies et ravageurs : Les vignes du domaine sont parfois atteintes par des maladies cryptogamiques comme le mildiou et l’oïdium. Il y a aussi un nouveau ravageur qui est apparu ces dernières années : le cryptoblabe, un lépidoptère très présent sur le littoral méditerranéen. Peu de solutions existent déjà pour lutter contre ce ravageur, la filière travaille dessus. Le domaine travaille sur les aspects biodiversité afin de développer des auxiliaires de la vigne qui permettront de limiter naturellement la pression des différents ravageurs. Le biocontrôle n’est actuellement pas utilisé sur l’exploitation, les traitements sont surtout à base de soufre et de cuivre.
Historique de l’exploitation
L’exploitation a connu de nombreux propriétaires avant son rachat par le groupe LVMH. A cette époque, les vignes étaient conduites en système conventionnel avec un travail du sol important et sans couvert végétal. Les sols, sablonneux et très drainants, ne comportent qu’en moyenne 0.85% de matière organique.
Changements marquants au cours des dernières années
Acquis en juin 2019 par le groupe LVMH, le domaine a lancé une stratégie environnementale volontariste, basée sur la viticulture biologique et régénérative. Une vision simple : seul un sol sain et vivant donnera les meilleurs raisins, et donc les meilleurs vins produits ainsi de manière durable. Deal gagnant-gagnant : le vivant au service de la qualité de la viticulture, la qualité de la viticulture au service du vivant.
Ces engagements ont entraîné une conversion vers l’Agriculture Biologique et une volonté de régénérer les sols. Cette volonté a amené les exploitants à implanter des couverts végétaux sur toutes les parcelles et l’ensemble des rangs. Ces couverts évoluent en fonction des années et des objectifs de l’exploitation. Ils sont semés un rang sur deux chaque année et la destruction évolue aussi en fonction des années, du contexte et des espèces du semi ; elle peut se faire au rouleau ou par broyage. Une stratégie d’implantation de haies d’agroforesterie est en cours de déploiement avec également un souhait de réduction de la taille des parcelles.
Le manque d’eau lors des épisodes de stress hydrique, et le trop plein d’eau lors des épisodes de fortes pluies qui entraînaient un ruissellement ont conduit à une réflexion sur la manière de gérer l’eau dans le système.
Motivations des agriculteurs
Éléments déclencheurs des nouvelles pratiques
Les exploitants se sentaient impuissants face aux évènements climatiques, par exemple lors d’un épisode de fortes pluies avec 90mm tombés en trois heures. Le sol étant très érosif, ces épisodes entraînaient des coulées de boue et la formation d’ornières. La remise en état des parcelles demandait du temps et avait un coût élevé. De plus, cette perte de sols était équivalente selon les exploitants à un “effacement du terroir” en emportant la couche superficielle des sols, la plus fertile. Il y a donc eu une réflexion sur la régénération des sols, et sur la volonté de mettre en place des couverts, de l’agroforesterie et des haies pour limiter l’érosion et permettre une viticulture plus durable. Mais les arbres et les haies nécessitent un apport d’eau, il fallait donc revoir l’intégration des trames bleue et verte du domaine en recréant des réseaux de gestion de l’eau pour permettre la survie des plantations.
En lien avec ces notions, un autre objectif était une meilleure intégration de la biodiversité. Le domaine a un partenariat avec le Conservatoire des Espaces Naturels de PACA (CEN PACA). Ce partenariat a permis de réaliser un inventaire de la faune et de la flore présentes sur le domaine puis d’établir un plan de gestion écologique pour améliorer la biodiversité (qualité et quantité).
L’hydrologie régénérative s’est imposée naturellement comme une approche de reconception/design à la fois des chemins de l’eau mais aussi des haies et plantations, biodiversité, réflexion sur les risques incendies, etc…
Étant donné la faible teneur en matière organique des sols, le domaine fait également des apports de compost. Ce compost est fourni par l’association Les Alchimistes Côte d’Azur, qui produisent le compost à partir de biodéchets. Il y a eu un apport de 300m³ de compost sur la parcelle d’essais. Un plan de gestion sur 10 ou 20 ans des apports de matière organique est aussi en train d’être mis en place.
Objectifs des agriculteurs
Les objectifs du domaine sont donc d’améliorer la gestion de l’eau, de préserver la fertilité des sols et d’améliorer la biodiversité en montrant l’impact de bonnes pratiques agroécologiques grâce aux expérimentations menées sur l’exploitation. Le domaine vise à développer sa résilience via trois leviers :
- Absorber l’essentiel de la pluviométrie (Hydrologie régénérative & pratiques améliorant l’infiltration de l’eau : couverts, plantations contre pente, …)
- Transformer le sol en réservoir (améliorer la qualité des sols MO)
- Développer ses capacités de collecte en eau : rénovation de la retenue collinaire présente sur le domaine (35600m3, construite dans les années 1890).
Présentation des pratiques innovantes
Date de mise en œuvre
Il y a eu un premier contact avec le bureau d’études Permalab (qui propose un accompagnement des agriculteurs sur l’aménagement de leur exploitation et l’hydrologie régénérative) en 2021 suite aux réflexions sur la manière de gérer la ressource en eau, sur la viticulture durable et sur l’agroforesterie.
Présentation technique et mise en place des pratiques
Historiquement, le domaine avait été travaillé de telle sorte que l’eau s’évacue rapidement après une pluie, ainsi il y avait de nombreux fossés (en pointillés sur l’image).

En décembre 2023, après un premier contact avec Permalab, la décision de créer une zone d’essai sur un bassin versant de 11 ha a été prise.

La première étape a été de planter les vignes à contre pente (perpendiculairement à la pente). Les exploitants n’ont pas suivi la méthode du keyline design qui consiste à faire des coupes en sous-solage en suivant les courbes de niveau car les parcelles sont vendangées mécaniquement, ce qui rendait cette technique impraticable (il n’y a pas de projet de repasser à des vendanges manuelles).
Les couverts végétaux ont eu un rôle important pour la gestion de l’eau, ainsi que la limitation du travail du sol pour éviter le compactage, et la plantation de haies d’agroforesterie pour créer des barrières naturelles.
La zone d’essai comporte différents ouvrages, de l’amont du terrain sur le massif forestier jusqu’au bas du vignoble, pour ralentir, répartir, infiltrer et stocker l’eau.

Au niveau du massif forestier on trouve :
- Des fascines, ou corrections torrentielles : Des structures grillagées permettant de tenir le sol dans les pentes où le ruissellement de l’eau est très important, et qui permettent de créer une marche pour limiter ce ruissellement. Elles sont constituées de grillages et de pieux pour garantir leur durabilité.
- Des baissières ou noues : Ce sont des fossés sur courbes de niveau qui permettent de stocker une quantité importante d’eau car elles s’étendent sur plusieurs kilomètres. Pour résister à de fortes pluies et éviter qu’elles ne s’érodent, ces baissières ont des surverses qui se jettent dans le talweg naturel.
- Le talweg (ligne de vallée) est lui-même en lien avec un réseau de plusieurs mares temporaires successives.
Au niveau du vignoble, de l’amont vers l’aval, on trouve :
- Des fossés à redents juste en sortie de talweg : Ce sont de larges fossés avec une succession de barrages en pierre qui empêche l’eau de circuler trop vite horizontalement. Ils sont placés à la fois en amont et en aval de la vigne.
- Des bassins tampons : Ce sont des zones de stockage et d’infiltration de l’eau. Ils sont situés en aval des mares, et en amont des parcelles de vignes.
- Des ripisylves : Ce sont des zones boisées, buissonnantes et herbacées situées en bord de cours d’eau ou de plans d’eau.
- Des fossés : Ils permettent également le stockage et l’infiltration de l’eau.
L’objectif de tous ces ouvrages est de donner à l’eau un temps suffisant pour s’infiltrer.
Pour dimensionner correctement les ouvrages, un hydraulicien faisant partie des équipes de Permalab a fait des calculs de volumes et de surfaces d’infiltration à partir de différents relevés topographiques. De plus, un suivi est réalisé avec des sondes hydrauliques un peu partout sur le domaine. Le but est de connaître le volume d’eau que les ouvrages permettent de collecter et de garder sur l’exploitation. Un des enjeux étant de dimensionner les surverses pour éviter qu’elles cèdent en cas de fortes pluies.
Le bassin tampon est resté en eau de décembre à juillet. Cela a permis d’attirer une biodiversité particulière. Une des craintes des exploitants était que cela attire aussi les moustiques, notamment les moustiques tigres très présents dans cette région, mais la chaîne trophique a permis une prédation naturelle avec par exemple des insectes d’eau qui mangeaient les larves de moustiques. Selon les bassins, l’assèchement peut se faire en une semaine jusqu’à plusieurs mois, et cela crée une diversité de milieux intéressants pour la biodiversité en plus d’entraîner une infiltration plus ou moins rapide et d’éviter un drainage trop important.
A l’hiver 2024-2025, la zone d’essai a été étendue. Huit mares temporaires en cascades ont été ajoutées sur le bassin versant avec des fossés à redents en amont.
Deux objectifs ont motivé cet agrandissement :
- Le premier objectif était d’améliorer la gestion de l’eau autour de la zone d’essai, qui était encore à perfectionner.
- Le deuxième objectif était de profiter de ces nouveaux aménagements pour retirer le mimosa présent dans la zone, car c’est une espèce envahissante qui concurrence le reste de la biodiversité ainsi que les vignes, et qui brûle facilement.
Un fossé à redents à été construit, et à côté des redents des haies ont été plantées car les redents retiennent l’eau ce qui favorise l’implantation de la haie.
Le choix des espèces implantées est fait pour éviter la compétition avec les vignes et limiter les risques d’incendies. Par exemple, des espèces comme le chêne, le pin ou le mimosa ne sont pas compatibles avec la vigne en termes de mycorhization. Dans les 2,6 km de haies implantées sur l’exploitation, on peut retrouver des rosacées mais aussi des arbres fruitiers, ce qui peut à terme permettre une coproduction intéressante. Le domaine travaille avec des pépiniéristes locaux pour le choix des essences.
Il y a également un projet de reboisement de 15% du massif avec des essences résistantes à la sécheresse (chêne liège, chêne tauzin, caroubier…). Ces espaces boisés permettront eux aussi de ralentir l’eau.
Par ailleurs, au cours des travaux, quelques routes ont été élargies pour améliorer la sécurité lors du passage des engins.
Aspect réglementaire
- Il y a un seuil réglementaire à 1000m²[1] cumulés pour les bassins de rétention d'eau : au-delà de ce seuil de stockage les exploitants seraient soumis à des dossiers réglementaires.
- Pour éviter des problèmes juridiques et réglementaires, une note de cadrage a été rédigée pour qu’il n’y ait pas de confusion possible entre les bassins de stockage (qui restent en eau et sont soumis à des réglementations au-delà du seuil de 1000m²) et les baissières (les fossés).
- Les BCAE (Bonnes Conditions Agricoles et Environnementales) ne permettent pas de modifier des cours d’eau (donc il n’est pas possible de réaliser ce type de travaux trop près d’un cours d’eau).
- Il faut des autorisations pour défricher une zone, mais la zone avait subi un incendie important donc dans le cas présent le défrichage n’a pas été nécessaire pour conduire le projet.
- Dans la région, il y a une zone de protection des tortues Hermann donc il peut y avoir des études à faire en amont de la réalisation de travaux pour des exploitations qui seraient dans cette zone (ce n’est pas le cas du Château Galoupet).
- Le domaine a fait appel à un bureau d’études pour valider ces aspects réglementaires.
Bilan
Gestion des ouvrages
- Pour la partie gestion hydrique des vignes, le domaine n’a pas encore de résultats car il faut des observations à long terme. En effet, il faut laisser le temps au sol de développer son pouvoir drainant à l’aide de l’activité biologique et de la capacité de filtration des végétaux, et cela peut prendre plusieurs années.
- Des sondes hydrauliques installées dans des fossés permettent de suivre l’impact des ouvrages sur la gestion de l’eau en mesurant le débit et la vitesse de l’eau.
- La gestion de l’eau lors des orages s’est considérablement améliorée et a permis de stopper les phénomènes d’érosion qu’il y avait auparavant dans ces cas là. Par exemple, historiquement lors d’un orage, une ornière se formait dans la parcelle de Tibouren, un cépage emblématique de l’exploitation, et aujourd’hui ce problème est résolu (il y a en revanche, un travail d’entretien à prévoir sur les ouvrages).
Biodiversité
- Le CEN PACA réalise un suivi des espèces à enjeux présentes sur le domaine.
- La création de milieux propices à la biodiversité est déjà visible avec notamment des insectes qui sont venus coloniser le milieu ainsi qu’une prolifération de têtards. Cela va permettre de nourrir des reptiles et amphibiens qui à leur tour permettront de nourrir des oiseaux, par exemple des rapaces.

Organisation du temps de travail
- Le temps passé historiquement par l’équipe à réparer les ornières est désormais consacré à construire des ouvrages hydrauliques notamment des redents. Tous les membres de l’équipe sont sensibilisés au sujet de la gestion de l’eau et sont très intéressés et investis.
Est ce que ça a marché du premier coup et y a t il des choses à faire différemment ?
La réalisation du projet leur a appris beaucoup de choses et ils ont fait des modifications au fur et à mesure de leur apprentissage.
Les mares auraient pu être plus grandes car aujourd’hui en cas de fort orage certaines sont remplies à ras bord. Mais la décision de faire des mares plus petites a été prise pour ne pas dépasser les surfaces réglementaires et éviter de devoir constituer un dossier.
Les premiers redents ont été faits par un prestataire extérieur. Ils auraient pu être faits en interne (c’est le cas pour les nouveaux redents) mais cela aurait impliqué d’en construire sans avoir de modèle et ça aurait été une prise de risque.
La zone d’essai a été très importante car elle a permis d’avoir un retour d’expérience sur une petite zone, qui a vocation à être déployée sur le reste du vignoble.
Les investissements
Financiers
- Budget étude phase 1 : 13k€
- Travaux phase 1 : 80 K€
- Baissière : 1km = 9000€ (env. 9€/m linéaire)
- Correction torrentielle : 5m linéaire = 650€
- Mouillère : env. 5€/m²
- Demi-lune (plantation forestière) : 1200€ / Ha
- Mare temporaire : 33€ / m²
- Équipements : Les premiers relevés topographiques avaient été faits en utilisant une aile volante mais aujourd’hui ça ne serait plus utile car il est possible d’avoir un accès en ligne à des relevés faits au LIDAR (relevé topo au laser) par les services de l’IGN.
Temps de travail
Les travaux ont eu lieu pendant un mois et demi, en hiver. Il faut cependant faire attention à la météo car l’hiver est aussi le moment où il y a les plus fortes pluies.
Partenariats / sous-traitance, conseil… ?
Le domaine a établi un partenariat avec le bureau d’études Permalab ainsi qu’avec le CEN PACA.
Avez-vous perçu des aides (PAC, région, département,...) ?
Le domaine n’a pas essayé d’avoir des aides.
Perspectives
Une nouvelle étude avec Permalab a été engagée. L'objectif est de faire la même chose sur tous les bassins, bassin versant par bassin versant, pour qu’en bas du domaine il y ait un débit faible et un ruissellement épuré en matière organique, sol et matière en suspension.
Puis en aval du domaine, l’objectif serait de créer des zones humides avec une biodiversité importante, qui serait le dernier point de passage de l’eau.
Une boutique va être ouverte pour faire de la vente directe au domaine, et un circuit de visite orienté sur la biodiversité, le sol et la gestion de l'eau sera mis en place.
Sources
Retour d'expérience rédigé à la suite d'un entretien avec Ludovic Stievet, responsable QHSE au Château Galoupet, en avril 2025.