Transition agroécologique en polyculture élevage en Haute-Vienne
Ferme en semis direct et pâturage tournant dynamique
Historique de la ferme
- 1990 : Installation sur la petite ferme familiale à l’âge de 21 ans. Historiquement, sa ferme est un élevage de Limousines inscrit au Herd-Book. Il est naisseur, engraisseur et sélectionneur de la race.
- Développement de l’entreprise grâce à l’association Cendrecor qui permet de valoriser les déchets de la papeterie SYLVAMO.SA.France. Les déchets sont valorisés en produits utilisés par les agriculteurs pour la fertilité des sols (apport de potasse et CaO). Cette association facilite les discussions et échanges entre agriculteurs qui partagent leurs pratiques innovantes. Il réduit son cheptel et se dirige plus vers les grandes cultures.
- Il a maintenant 55 ans, et pense à la transmission de sa ferme. Il aimerait pouvoir transmettre une ferme dimensionnée pour 2 personnes et qui permette d’amortir des investissements. Il lui reste 10 ans de travail sur la ferme, et il ne veut pas que la vente des terres profite à l’agrandissement d’une autre exploitation.
Cheminement vers une agriculture plus durable
Les étapes vers un changement de pensées
- Dans un premier temps, notre agriculteur a pu assister à un exposé de Claude Bourguignon organisé par l’entreprise Procédés Roland Pigeon (PRP) qui vend des biostimulants. Il s’est rendu compte que l’exposé de Claude Bourguignon arrive au même résultat que ceux plébiscités par PRP mais sans utiliser d’engrais, uniquement en utilisant des couverts végétaux et en arrêtant le labour. Cet agriculteur a été intrigué par ces pratiques agricoles, mais n’a pas pu les tester car il avait besoin d’une autonomie financière pour “se permettre de prendre le risque d’avoir des échecs”. De plus le risque était d’autant plus grand qu’il y avait peu de diffusion de connaissances sur ces pratiques à l’époque.
- L’usine de pâte à papier Sylvamo basée à Saillat-sur-Vienne en Haute-Vienne a décidé de valoriser ses déchets industriels chez des agriculteurs (apports calciques réguliers pour faire face à l'acidité des sols). L’association Cendrecor cristallise ce partenariat où l’industriel finance la valorisation de ses déchets chez les agriculteurs de Haute-Vienne et de Charente. Les matières valorisées sont des cendres, des carbonates et des chaux vives. Cette collaboration a créé “une bouffée d'oxygène financière sur l’exploitation” de l’agriculteur. En plus de financer les apports calciques, l’association a financé des suivis agronomiques sur les parcelles concernées, ainsi qu’une dizaine de journées de formation par an en lien avec l’agriculture durable notamment l’agriculture de conservation des sols (ACS) et l’apiculture. Son déclic est la dynamique de groupe qui s’est créée au sein des formations sur ACS ainsi qu’au retour d’expérience de ses collègues sur le même type de sol que le sien.
- Cet agriculteur a commencé sa transition vers l’agriculture de conservation des sols depuis 2014. Si les connaissances avaient été diffusées avant, sa transition aurait été faite plus tôt.
- En 2016, il a commencé à utiliser des techniques culturales simplifiées (TCS) tout en mettant en place petit à petit des couverts végétaux pour “restructurer le terrain et ne pas laisser le sol nu”. Son semoir TCS convient très bien à des céréales d’automne et est “polyvalent” (semence et engrais dans deux cuves différentes). Cette transition se déroule en parallèle de celle du groupe d'agriculteurs qui suivaient les formations sur l’ACS avec l’association Cendrecor. Il s’est ensuite dirigé plus lentement vers le semis direct après l’achat d’un semoir direct monograine d’occasion pour le tournesol et le maïs grain. Il se considère encore en phase de transition car il n’a “jamais fini d’apprendre”, mais ça l'embêterait de revenir au labour alors que ça fait 10 - 15 ans qu’il a arrêté.
- Bien qu’adhérent à une CUMA, l’agriculteur a fait le choix d’investir seul dans ses semoirs à semis direct car il n’était pas en accord avec l’avis majoritaire sur le type de semoir direct à acheter. En effet les adhérent de la CUMA préféraient un semoir à disque alors que cet agriculteur préfère un semoir à dent. Selon lui, le semoir à dent est “plus polyvalent” et plus adapté à un semis direct dans un couvert vivant alors que le semoir à disque enfouit les brins de paille dans le fond de la raie de semis, ce qui est “préjudiciable pour la montée des graines”. Cependant, un semoir à dent ne serait pas adapté à un couvert rampant (trèfle ou vesce). Ceci justifie le choix de l’agriculteur dans des couverts végétaux avec des plantes au port dressé.
Pendant les premières années, cet agriculteur ne s’y retrouvait pas forcément économiquement car il avait des charges de mécanisation forte à cause de l’achat du matériel et l’achat de semences. Aujourd’hui, les charges qui étaient liées au labour sont remplacées par les charges d’achat de semence de couverts végétaux.
Objectifs souhaités
La volonté de l’agriculteur est d’utiliser les couverts pour remplacer l’effet du travail du sol sur la structure du sol. Cependant, l’arrêt du travail du sol lui ajoute une nouvelle contrainte, celle de la gestion des adventices, qui l’obligent à utiliser des produits phytosanitaires. Ainsi un de ses objectifs est d’en réduire son utilisation.
Effets des pratiques innovantes
Venant tout juste de racheter 70 ha d’une parcelle argileuse ayant une meilleure capacité de rétention de l’eau que les anciennes, il constate les différences de portance des sols liées aux travaux du sol. En effet, il remarque que l'ancien propriétaire de ces terres, qui était un usager du labour, “marquait son terrain”. Par ailleurs, bien que très intéressants ces sols ont une semelle de labour à 20 cm qu’il compte bien éliminer à l’aide de couverts notamment.
Selon l’agriculteur, l’utilisation du glyphosate est indispensable sur son exploitation, bien qu’il essaie d’en utiliser le moins possible. Pour augmenter son efficacité, il joue sur ses conditions d’emplois. Il explique qu’en effet, une eau très acide (pH = 3) et l'ajout d’adjuvants qui modifient la dureté de l’eau permettent d’augmenter l’efficacité du glyphosate lors de son application. Par ailleurs, il nous confie que son implication dans l'association Cendrecor, qui lui permet de remonter son pH, lui a permis de pouvoir cultiver des légumineuses sur ces parcelles. De plus, ça a “relancé la dynamique du sols”, ce qui a ouvert beaucoup d'opportunités.
Expérimentations et objectifs à venir
Pour arriver à son système actuel, notre agriculteur a essayé beaucoup de choses différentes. Par exemple, il a réalisé des tests sur tous types de couverts que ce soit en été ou en hiver. Il nous raconte cependant avoir été confronté à la réalité économique de la chose. Effectivement, les couverts représentent un coût financier non seulement en termes d'achat de semences mais aussi en ce qui concerne leur fertilisation qu’il ne faut pas négliger. Or dans un système sans irrigation et dans son contexte climatique, il est difficile de maintenir de beaux couverts en été. Par ailleurs, il nous raconte qu’il a toujours réalisé ces expérimentations directement sur de grandes surfaces, car mettre en place des essais prend du temps, ce qui est trop contraignant. Cependant il dit “avoir eu de la chance que ces tests soient concluants du premier coup”.
A l’heure actuelle cet agriculteur a une vision plus tournée vers la transmission de sa ferme, même s’il se voit rester proche de son repreneur et de sa ferme après transmission. En effet, il “ne se voit pas arrêter son métier”. S’il souhaite “rester au contact” du jeune repreneur avec qui il travaille actuellement, il compte cependant le laisser prendre toutes les décisions à terme, et commence déjà à lui laisser de plus en plus d’autonomie. Il a atteint un régime de croisière dans lequel il arrive à se dégager du temps libre, notamment les week-ends, et dans lequel il se rémunère aussi de manière adéquate. Il a également racheté cette année 70 hectares supplémentaires dans un objectif d’agrandir l’exploitation avant la transmission. Enfin, il souhaite installer des panneaux photovoltaïques sur ses bâtiments agricoles. L’objectif serait de monter deux centrales électriques de 500 kW.
Système de production
Production végétale
Sur ces 230 ha (300 ha cette année avec un nouvel achat de terre), l’agriculteur met en place une rotation avec le colza comme tête de rotation qui revient au bout de 6 ans.
Rotation : Colza - Blé - Couvert d’interculture - Maïs grain - Tournesol - Blé - Colza
Différents couverts ont été testés:
- Couvert d’été composé d’avoine brésilienne, seigle, trèfle d’alexandrie, phacélie et repousses de colza.
- Couvert d’hiver à base de féverole si le maïs est récolté tôt, pour que la féverole ait le temps de bien se développer
- Couvert composé de moutarde et sorgho fourrager
Parfois, l’agriculteur laisse ses couverts d’été pendant l’hiver (moins de travail) et le détruit chimiquement (espèces non gélives) juste avant le semis du maïs. Chaque couvert est également composé d’espèces mellifères. Parfois, un couvert est mis en place avant le tournesol, mais en général il laisse les pailles du maïs sur la parcelle pendant l’hiver.
Par ailleurs, il aimerait à l’avenir produire des graines de féverole afin d’être moins embêté si le couvert ne fonctionne pas car il n’aura pas la charge liée à l’achat de semences de féverole.
L’exploitation est divisée en deux parties séparant l’atelier grandes cultures et l’atelier polyculture-élevage.
Son assolement en 2023 est le suivant:
Itinéraire technique de blé en 2023
- 6 octobre : (destruction des repousses du colza) avec du glyphosate à 2 L/ha et sème avec un semoir TCS à 280 g/m2. Si le blé arrive derrière un tournesol, en général les parcelles sont propres et le semis est effectué avec en TCS après un passage de cover crop “pour mélanger les pailles”
- 10 octobre : Désherbage 1
- 2 novembre : Désherbage 2 contre les graminées (ray-grass en particulier) avec un produit Defi. Un insecticide (LambdaStar) contre le puceron a aussi été réalisé car les “attaques de pucerons se font en général pour un semis précoce”
- 22 février : Fertilisation 1, Entec 26N à 168 kg/ha (apport de soufre en plus de l’azote)
- 21 mars : Fertilisation 2, Ammonitrate 33% à 226 kg/ha
- 25 avril : Fertilisation 3, Ammonitrate 33% à 105 kg/ha pour augmenter la teneur en protéine des grains de blé
- Traitement fongique (Amplitude et Priaxor) variable selon les années. Uniquement le 3 mai en 2023
- 12 juillet : Moisson
Itinéraire technique du Colza en 2023
- 20-25 juillet : Déchaumage du précédent céréale à paille
- 10 août : Epandage de fumier à 10 t/ha (“Le colza valorise bien le fumier”)
- 11 août : Semis du colza avec le semoir TCS. Apport d’engrais minéraux en même temps si pas d’épandage de fumier au préalable. L’anti-limace n’est pas utilisé pendant les années sèches. L’agriculteur associe deux variétés de colza qui ont des précocités différentes afin d’avoir une petite partie des colzas qui fleurissent précocement pour attirer les méligèthes. Ainsi la grande partie du colza plus tardif aura moins d’avortements des bourgeons floraux dus aux meligèthes. Le semis est à 1.5/2 kg/ha dont 200g de variétés précoces. Cette association permet d’économiser un passage d’insecticide.
- 22 septembre : Désherbage 1, Coursier
- 27 septembre : Désherbage 2, Mozzar
- 20 février : Insecticide contre le charançon des tiges
- 23 février : Fertilisation 2, Ammonitrate 33% à 115 kg/ha
- 12 juillet : Récolte
Les traitements fongiques et insecticides sont limités en raison de la présence d’abeilles. Ces traitements sont effectués le soir.
Itinéraire technique du maïs en 2023
- Semis direct après un couvert
- 30 janvier : Rouleau classique pour détruire le couvert en période de gel
- 20 mars : Désherbage 1, Glyphosate à 2L/ha
- 11 avril : Fertilisation 1, Entec 26N à 200 kg/ha
- 18 avril : Semis du maïs avec semoir direct monograine et engrais starter à 20 kg/ha
- 22 avril : Désherbage 2, Camix et Isard et apport de zinc
- 5 mai : Rattrapage désherbage, Equip pour le liseron notamment
- 10 mai : Fertilisation 2, Ammonitrate 33% à 100 kg/ha
- 5 octobre : Récolte
Itinéraire technique du tournesol en 2023
- 20 mars : Désherbage 1, Glyphosate à 2L/ha (car parcelle salle)
- 20 avril : Cultivateur pour préparer la parcelle
- 26 avril : Semis direct avec semoir monograine et engrais starter à 20 kg/ha.
- 2 mai : Désherbage 2, Mercantor et Challenge, avec apport de bore
- 23 mai : Anti-limace à cause de la pluie
- 28 septembre : Moisson
L’agriculteur a testé deux types de semis pour le tournesol : le semis direct avec son semoir monograine, et le semis à la volée. Le semis à la volée lui a été inspiré par le père d’Arthur Mousset qui affirme que l’espace est mieux valorisé par les tournesols. Notre agriculteur n’a réalisé qu’une fois en test le semis à la volée.
Concernant l’utilisation de l’engrais starter, un semis direct permet de positionner l’engrais au plus proche de la graine c'est-à-dire dans le rang. Au contraire, avec le semis à la volée, l’engrais starter est dilué sur la parcelle.
Le semis direct est très précis sur la profondeur de semis ce qui permet d’avoir une levée homogène de tous les plants de tournesol. Le semis à la levée, n’est pas précis sur la profondeur de semis. Une différence de profondeur de semis de 1 cm, peut provoquer 2 vagues de croissances dans des conditions météorologiques chaudes, puis froides, puis chaudes à nouveau. Ainsi les tournesols de la deuxième vague entrent en compétition avec ceux de la première vague et deviennent alors des adventices car ils ne vont pas produire.
De plus, un semis direct laisse la possibilité de biner dans l’inter-rang si la pression des adventices est trop forte.
Traitements et fertilisation des cultures
Pour ces cultures, l'agriculteur fait uniquement des traitements curatifs. Par ailleurs, la fertilisation est raisonnée. En effet, il utilise des cartes satellite de modulation intra-parcellaire qui permettent d’apporter la bonne dose aux bons endroits sur la parcelle. Le système de guidage (GPS) du tracteur facilite son application. Il a pu observer une homogénéisation de sa parcelle en 3 semaines grâce à cet outil (FarmStar) qui permet une meilleure efficience d’utilisation des produits.
Rendements
Les rendements (en 2023) de chaque culture sont les suivants :
- 94 qtx/ha pour le maïs (sec) (satisfait) (70 qtx/ha objectif)
- 28.6 qtx/ha pour le tournesol (satisfait) (25 qtx/ha objectif)
- 40 qtx/ha pour le colza (satisfait) (35 qtx/ha objectif)
- 68 qtx/ha pour le blé (satisfait) (70 qtx/ha objectif)
Stratégie de gestion du matériel
Aujourd’hui parce que les taux d’intérêt des banques sont remontés, l’agriculteur a une stratégie d’entretien et de vieillissement du matériel déjà présent sur sa ferme. Il n’a pas d’intérêt à acheter un nouveau tracteur car il y passe de moins en moins d’heures dessus grâce au semis direct.
Production animale
Il s’agit d’un élevage bovin de race Limousine.
Évolution de l'élevage sur l’exploitation
- Installation : Vingtaine de vaches mères
- 10 ans après : 110 vaches mères. Il achète aussi des veaux venant de l’extérieur pour les engraisser.
- Récemment : 50 vaches mères “pour mieux gérer son temps de travail”
Pâturage tournant dynamique
Il pratique le pâturage tournant dynamique et rentre uniquement les animaux en hiver et pendant la période de vêlage. Le troupeau est divisé en 5 à 6 groupes et restent 4j sur les parcelles. Le vêlage est désaisonné (fin août jusqu’à mi-octobre). Pendant cette période, les besoins fourragers sont conséquents.
Composition des prairies
Il possède 90 ha de prairies sont composés de :
- Plus de 50% de légumineuse essentiellement grâce à différents trèfles (blanc, d’alexandrie)
- Une petite part de graminées.
- Espèces mellifères (phacélie, moutarde…)
Son objectif est l’autonomie protéique et la réduction d’achat engrais azoté.
Alimentation du troupeau
- 10 ha d’ensilage d’herbe (de première coupe). La première coupe se fait au maximum le 20 avril.
- 10 ha d’enrubannage (de première coupe).
- 30 ha de foin (première et deuxième coupe). La deuxième coupe se fait pour les parcelles qui ont été ensilées et enrubannées et uniquement pour les parcelles à plus forte production. Pour la parcelle la plus éloignée, une troisième coupe est réalisée. La fauche tardive (début épiaison) permet d’avoir un “fourrage qui fait ruminer”
- Ration = ⅓ triticale (échange la coopérative de blé tendre contre triticale “car le blé a un pouvoir acidogène”), ⅓ de maïs grain et ⅓ complément azoté et fourrage grossier. Il ne fait pas d'ensilage de maïs parce qu’il n’a pas assez de bêtes pour le faire dans de bonnes conditions et l’écouler au fur et à mesure.
Contrôle de performance du troupeau
Cet exploitant est adhérent à un contrôle des performances. Il y a un suivi génétique du troupeau (insémination artificielle, taureaux de valeurs). Les phénotypes sont évalués par un pointeur lors du sevrage. Il évalue le bien-être de ces animaux en étant au contact de ces derniers (animal curieux, en bonne santé, “des veaux qui profitent”). De plus, il pense également que le résultat économique positif reflète le bien être de son troupeau.
Face aux maladies, plusieurs stratégies préventives et curatives sont mises en place comme le vaccin contre le BVD (Bovine Viral Diarrhea Virus) et la grippe. Il traite annuellement son troupeau contre divers parasites. Ces traitements curatifs autrefois individualisés sont aujourd'hui des traitements collectifs car “tous les animaux seront au moins touchés une fois dans l’année”. Enfin, il reste sur ses gardes vis-à-vis de la FCO (Fièvre Catarrhale bovine) qui sévit et entraîne de forte pertes (25% de veaux en moins en moyenne dans son groupement d’agriculteurs). Ces animaux restent une priorité majeure avec son sol dans son exploitation.
Ces vaches de réforme sont passées de 420 kg en poids carcasse à 520 kg, voire même 600 pour certaines, ce qui permet un meilleur niveau de rémunération. De même, il vend aujourd’hui ses taurillons plus chers (3.6€ le kilo avant et 6€ aujourd’hui) “probablement par un changement de comportement des consommateurs” qui rechercheraient des viandes de qualité certifiées. Avec cette rémunération, il hésite à agrandir de nouveau son cheptel, d’autant plus que le temps d’attente pour les abattoirs a drastiquement réduit (3 semaines avant et moins d’une semaine aujourd’hui).
L'apiculture sur la ferme
Son activité a commencé il y a 8 ans suite à des échanges avec un apiculteur (multiplicateur d’essaim) de la région qui lui a donné des conseils pour démarrer et gérer cet atelier. Il a également suivi des formation avec Cendrecor sur l'apiculture. Il dispose de 8 ruches. Cette activité est associée à la culture de colza puisque les abeilles profitent de sa floraison.
La présence des abeilles impose une adaptation sur la période des traitements qui maintenant se font généralement la nuit. Par ailleurs, la composition de ses couverts est aussi adaptée à cet atelier en comportant des espèces butinées par les abeilles (espèces mellifères comme la phacélie, l’aubépine…). Le matériel d'extraction pour le miel est un matériel en CUMA. Le miel est vendu 8€/500g à la pharmacie ou à d’autres personnes de la commune en direct à la ferme.
Complémentarité entre les productions
Il y a une vraie complémentarité entre ses productions. Il est presque complètement autonome pour l’alimentation de son troupeau. Il conserve 50 t de blé et 50 t de maïs grain (pour le troupeau), récupère les pailles et effectue un transfert de fertilité en apportant le fumier de bovin sur les parcelles.
Le colza et tournesol qu’il livre à la coopérative permet la production de tourteaux qu’il achète pour apporter un complément plus riche à son troupeau. Engagé dans une filière sans OGM, il ne peut nourrir ses animaux avec du soja importé d’où cette alternative.
Impact des pratiques innovantes sur ce système
Ces pratiques ont eu différents effets positifs sur le système selon les observations faites par l’agriculteur sur le terrain. Le sol est de meilleure qualité (matière organique, vie du sol…), la biodiversité est préservée grâce à la replantation de haies en bordures dans les zones qui ne gênent pas. Les couverts en interculture permettent une couverture du sol limitant l’érosion. L’allongement des rotations et les mélanges variétaux permettent de réduire l’utilisation de produits phytosanitaires pour gérer les ravageurs (méligèthes), les maladies et les adventices.
L’outil de cartographie pour l’adaptation des doses d’engrais à apporter selon la zone de la parcelle est un outil améliorant l’efficience d’utilisation des engrais mais cet outil peut être amélioré. Il aimerait avoir une cartographie des rendements sur sa parcelle afin de distinguer les zones de forts et faibles potentiels.
Même s’il n’est pas certifié AB, le cahier des charges étant trop contraignant, il met en place certaines pratiques qu’il trouve pertinentes par rapport à son système de culture.
Cependant, cet agriculteur a identifié de potentiels freins à la mise en place de ces pratiques:
- Certains agriculteurs aiment passer du temps dans les tracteurs. Ainsi, la mise en place de pratiques telle que les TCS serait plus compliqué
- Les systèmes sans “distinction” de la polyculture élevage bovin et des grandes cultures sont des systèmes qui selon lui sont plus complexes à transitionner “parce qu’ils ne savent pas où mettre le semis direct, les prairies sont piétinées et parfois les bêtes passent l’hiver dehors, ils n’ont pas le temps de mettre des couverts”. La transition serait plus simple pour “les systèmes d’élevage ovin”.
- Suppression du glyphosate. Son prochain axe de travail est de trouver des alternatives limiter l’utilisation de glyphosate même si aujourd’hui, il ne sait pas “comment faire 100% sans”.
Commercialisation et stockage de la production
La totalité de la production est vendue à la coopérative Océalia. L’agriculteur s’engage de plus en plus dans la commercialisation de ces produits en les vendant (pour la majorité de ces produits) au prix ferme en surveillant les cours de la bourse. Les bovins sont vendus à la grille selon leur conformation…
Il est adhérent à un groupe de producteurs de bovins et est satisfait de ce type de vente, car cela “assure une équité entre les éleveurs”. N’étant pas très attiré par le commerce, il ne compte pas comme certains autres éleveurs essayer de vendre ses produits à d’autres acteurs du territoire. Les produits issus de l’atelier élevage sont très bien valorisés grâce à leur labellisation.
Fréquence de commercialisation:
- Céréales stockées à la coopérative : Selon les cours de la bourse et les besoins en trésorerie.
- Produits animaux :
- Jeunes bovins/Taurillons (14/16 mois) en novembre
- Vaches de réforme en février
- Génisses de catégorie lyonnaise (18/19 mois) en juin/juillet
Bilan social
Cet agriculteur ne souhaite plus travailler autant que ce qu’il a pu travailler par le passé. Il essaie donc de se libérer une fois par mois un week-end complet lorsque son employé est d’astreinte. De plus, il fait en sorte de ne pas retourner voir ces animaux après son premier contrôle le samedi matin à 10h. Il essaye par ailleurs de maintenir des conditions de travail agréables pour son employé qui commencent à 8h et terminent rarement après 17h en comptant une pause d’une heure le midi. Ils finissent également le vendredi à 11h30.
Souhaitant prendre sa retraite dans une dizaine d’années, il met un point d’honneur à ce que sa ferme soit attractive pour son futur repreneur, qu’il a déjà en tête. Ainsi, en plus de faire des horaires qu’il juge raisonnables (50-55h/semaine), il essaie de se dégager un salaire correct, et de prendre deux semaines de vacances par an.
Ainsi, si cet agriculteur est globalement très satisfait de son travail, il estime que celui-ci est compliqué à cause de certaines institutions qui demandent toujours plus de travail administratif aux agriculteurs, ce qui leur “bouffe du temps".
Bilan économique
D’un un point de vue économique, si ces débuts ont été difficiles, il reconnaît être plus à l’aise aujourd'hui et pouvoir se payer 24 000€ net par an depuis 5 à 6 ans. C’est une manière pour lui d’encourager ses futurs repreneurs, et de leur montrer qu’il est possible de gagner de l'argent en tant qu'exploitant agricole. En effet, il trouve que “c’est dommage pour les jeunes de dégager de petits salaires” comme c’était son cas à ses débuts (700-800€ net/ mois).
D’un point de vue des nouvelles pratiques qu’il a mises en place, il déclare ne pas y avoir trouvé d'avantages financiers dans un premier temps. Effectivement, ce qu’il ne dépense plus en énergie dans le tracteur, il le dépense en semences pour ses couverts, ou en produits phytosanitaires, qui restent indispensables au fonctionnement de sa ferme. Il nous explique : “ je me sens plus lié à mon sol. Je m’adapte au coup par coup. J’adore marcher dans mes couverts. Ça me reconnecte avec ce métier. C’est une satisfaction personnelle avant d’être une satisfaction économique [...]. Je suis plus en adéquation avec la société”.
S’il est aujourd’hui en “vitesse de croisière”, il a dû réaliser quelques investissements pour en arriver là. En effet, il s’est équipé d’un semoir polyvalent dans un premier temps avant d’investir à nouveau dans un semoir pour le TCS. Aujourd’hui, il affirme s’y retrouver économiquement après sa transition.
L’agriculteur affirme que ses marges pour les productions végétales et productions animales sont toutes positives.
Enjeux et perspectives
Protection des infrastructures agroécologiques
Cet agriculteur participe à la préservation d’infrastructures agroécologiques pour la biodiversité comme les haies et buissons. Il replante des haies dans des zones où elles ne dérangeront pas autour de ses parcelles. Il fait également en sorte lors de cette plantation de haie de les placer pour limiter la compétition pour les ressources avec la culture en place.
Transition dans le contexte local
Quand on aborde le sujet de la transition agroécologique, on réalise que c’est très disparate. En effet, si une centaine d’agriculteurs sont engagés dans l’association Cendrecor, seule une petite vingtaine sont effectivement engagés dans la transition. Il semblerait que l’on puisse caricaturer la dynamique locale, en décrivant deux groupes d’agriculteurs. Ceux qui ont “la science infuse” et ne souhaitent pas changer leurs pratiques, et ceux qui ont la volonté de s’améliorer, et de faire évoluer leur exploitation. Il existe aussi des Mesures Agroenvironnementales et Climatiques (MAEC) dans le secteur, comme la MAEC Zone Humide pâturée. Mais cet agriculteur a essayé d’y adhérer, il juge cela trop contraignant d’un point de vue administratif. Ainsi, il a gardé le découpage des parcelles pour le pâturage tournant dynamique, mais ne peut se permettre de perdre du temps dans les champs au profit de la gestion administrative lourde qui caractérise souvent les MAEC.
Bilan global
Selon l’agriculteur, la mise en place de pratiques innovantes est accessible à tous ceux qui ont la volonté de s’y intéresser. Il nuance néanmoins, en indiquant que le volet financier pèse moins lourd dans la balance de la transition. S'il aurait aimé se lancer dès ses débuts dans ces nouvelles pratiques, il note toutefois que l’accès aux informations qui y sont liées sont plus accessibles aujourd’hui que ce qu’elles ne l’étaient par le passé.
Il ajoute par ailleurs que les nouvelles technologies peuvent être un levier de la transition. Par exemple, il a recours depuis le début de l’été à l'intelligence artificielle pour prédire les chaleurs de ces vaches à l’aide de trois mesures simples : l’ingestion des vaches, leurs activités, et leur temps de rumination. Ils peuvent maintenant “prédire les chaleurs à deux heures prêt !” nous confie-t-il impressionné. Bien que enthousiasmé par cette prouesse, il s'inquiète toutefois des conséquences environnementales de ces technologies.
Conseils pour d’autres agriculteurs
S’il avait un conseil à donner à un agriculteur souhaitant s'installer et mettre en place des pratiques innovantes, ce serait d’être curieux, d’aller voir ce qui se fait chez ses voisins, d’échanger et discuter avec eux et d’être ouvert d’esprit. En gros “prendre à droite et à gauche ce qui nous intéresse et construire son propre système”. Jugeant personnellement l’ACS comme vraiment bien, il conseillerait bien de prendre cette voie là.
Discussion des pratiques innovantes
Cet agriculteur met en place plusieurs pratiques agroécologiques pour la transition vers une agriculture durable:
- Semis direct (maïs et tournesol)
- Plantation de haies en bordure de parcelles où ça ne dérange pas
- Allongement des rotations
- Lutte biologique
Le semis direct améliorerait le taux de carbone (+ 7%) et son stock malgré une baisse de production en matière aérienne et racinaire du maïs[1][2]. La quantité de phosphore et potassium échangeable serait plus importante, améliorant la fertilité et la disponibilité d’éléments nutritifs pour les cultures. La réduction du travail du sol favoriserait une meilleure vitalité des sols: plus de bactéries, bactéries fixatrices d’azote, de champignons et de vers de terre favorisant une bonne structure du sol[3][4][5]. Ceci s’est confirmé avec le test de la culotte, l’analyse microbiologique étant trop chère. La “propreté” des parcelles favoriserait la réussite des TCS[6]. De plus, d’autres avantages du semis direct sont notables: limiter l’érosion et réduire les charges en carburant[6]. Enfin, les pratiques agroécologiques comme le semis direct sont à associer à d’autres pratiques agroécologiques (allongement des rotations, couvert végétal…) pour maximiser sa réussite.
Malgré le fait qu’il ait supprimé des haies il y a quelques années (pour des raisons d’organisation spatiale sur les parcelles), il s’engage depuis à en replanter sachant leur importance pour conserver une certaine biodiversité. Ces infrastructures agroécologiques sont des voies de circulation pour la faune sauvage comme de petits mammifères, oiseaux, insectes…[7]. De plus, les haies peuvent fournir d’autres services écosystémiques tels que le stockage en carbone, la lutte contre l’érosion en réduisant le ruissellement.
Les motivations vers un allongement des rotations sont variées mais elles doivent être réfléchies en amont tout en considérant le précédent cultural[8] :
- Des nouveaux débouchés
- Adaptation à de nouvelles politiques
- Gestion des adventices (d’autant plus en TCS)
- Réduire l’utilisation de produits phytosanitaires
- Avoir un système de culture moins sensible aux aléas liés au changement climatique
- Réduction du temps de travail sur l’année
- Améliorer la fertilité des sols, structure…
Enfin, les rotations culturales participeraient à une amélioration de la biodiversité (diversité et richesse spécifique), favorisant une meilleure résilience face aux stress biotiques (maladies) et abiotiques [9][10].
- ↑ Eric Scopel, Antoine Findeling, Enrique Chavez Guerra, Marc Corbeels. 2005. Impact of direct sowing mulch-based cropping systems on soil carbon, soil erosion and maize yield. Agronomy for Sustainable Development, 25 (4), pp.425-432.
- ↑ Dridiger, V.K., Ivanov, A.L., Belobrov, V.P. et al. Rehabilitation of Soil Properties by Using Direct Seeding Technology. Eurasian Soil Sc. 53, 1293–1301 (2020). https://doi.org/10.1134/S1064229320090033
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