Le chanvre, une culture triplement performante
Cette fiche témoignage présente :
- les étapes de la culture du chanvre, du semis à la récolte (phase la plus technique)
- le matériel utilisé ainsi que l’itinéraire technique
- les résultats techniques et économiques et les intérêts environnementaux de cette culture
- les clés de réussite et les points de vigilance
Contexte de mise en œuvre
Présentation de l'exploitation du GAEC SCHOUWEY à Vaudrey (39)
- SAU : 320 ha
- 3 UTH
- Atelier porcin : 2 porcheries, 400 places d’engraissement et 700 places de post sevrage, suivi du cahier des charges de la saucisse de Morteau et labellisation « porc comtois élevé au sérum »
- Atelier céréales : blé d’hiver, orge de printemps, orge d’hiver, chanvre, maïs semence, colza, semence de soja de pays
- Différents types de sols : argilo-calcaire de vallée, limons drainés, sols de graviers (en bordure de Loue), marnes argileuses
Le GAEC SCHOUWEY cultive du chanvre depuis 2007 dans le cadre d'une filière mise en place par leur coopérative Interval.
Stratégie agro-écologique de l'exploitation
- 1998 : reprise des parcelles de marnes argileuses qu'il a fallu cesser de labourer (impasse technique) et décompaction des sols.
- Volonté de mieux connaître le fonctionnement des sols de l'exploitation et avoir une véritable gestion technique, un vrai pilotage.
- 2014 : Adhésion à un groupe local d'agriculture GAIA : Groupes d’Agriculteurs pour Innover en Agronomie.
- Parallèlement, la coopérative a permis l’émergence d’une filière chanvre, culture à bas intrants bénéficiant d’un potentiel de valorisation locale (isolation, construction en Allemagne et Suisse), litière animaux de compagnie en FC.
- Progressivement convaincu par l’efficacité agronomique, environnementale et bien sûr économique de cette culture, il a été décidé de cultiver 25ha de chanvre.
- Un objectif à plus long terme serait de travailler à la mise en place d’intercultures, favorables à l’activité biologique des sols mais aussi de plus en plus imposés par la réglementation, de façon très rigide. Leur levée et leur destruction, ainsi que la création du lit de semences de la culture suivante, sont en réalité souvent délicates sur nos sols argileux associés aux climat pluvieux de l'exploitation (de 1200 à 1350 mm, avec à-coups importants). Cela nécessite un accompagnement technique solide et pragmatique, car les résultats mis en avant dans les médias agricoles sont rarement adaptés à nos conditions pédo-climatiques !
Culture du chanvre
- Le GAEC SCHOUWEY cultive du chanvre depuis 2007, sans produits phytosanitaires (fort pouvoir couvrant), dans le cadre d’une filière mise en place par la coopérative : Eurochanvre, qui offre un débouché intéressant.
- Depuis 2014, environ 100 ha de chanvre étaient cultivés annuellement dans le secteur du Val d’Amour. Toutefois, depuis peu, cette culture est en plein essor, avec 700 ha cultivés sur le secteur lors de la dernière campagne et 1500 ha prévus pour 2017 !
- Ce développement résulte d’un matériel de récolte performant, qui rassure les agriculteurs (plus de problèmes de bourrage de presse par ex.), mais aussi de mauvais résultats économiques des cultures plus traditionnelles, qui rendent le chanvre largement compétitif et contribuent à le faire connaître et à le démocratiser.
Les étapes de la culture du chanvre sont les suivantes
Semis
- Semis au printemps (avril, mai) au semoir à céréales, à une profondeur de 2-3 cm, à une densité de 40-50 kg/ha, voire roulage.
- Etant récolté en plante entière, un semis précoce sur sols réchauffés permettra d’assurer la récolte des graines et de la paille dans de bonnes conditions.
Apport d'azote
- Apport d’azote en fractionné.
- Si une centaine d’unités d’azote sont théoriquement suffisants d’après la bibliographie, de meilleurs rendements et une meilleure qualité des grains (qui représentent 70% de la marge) sont observés avec des apports correspondants à environ 120-130 uN/ha.
Récolte
- Moisson des grains, appelées chènevis, à la moissonneuse batteuse. Ces grains sont collectés par la coopérative, séchés dans un séchoir spécifique, puis utilisés en huile alimentaire, en oisellerie, en cosmétique...
- Fauche des tiges avec une faucheuse avec lame à double section,
- Fanage : ce séchage au champ est appelé rouissage et prend environ 10 à 15 j lorsque les conditions météo sont favorables. Une pluie de 20 mm dans les jours qui suivent est parfaite pour permettre un rouissage rapide. Cette phase permet aux micro-organismes et aux bactéries présentes sur le sol d’éliminer la pectose qui soude les fibres à la partie ligneuse de la plante
- Mise en andain et pressage en balles rondes avant livraison à Eurochanvre, filiale de la coopérative INTERVAL, qui dispose d’une unité de traitement de la paille de chanvre à Arc-les-Gray (70) et permet ainsi une commercialisation en circuit court. Les tiges transformées donnent de la fibre (utilisée en isolation et même en plasturgie destinée à la fabrication de garnitures automobiles…), et de la chènevotte (moelle de la tige, très absorbante, utilisée en mélange avec de la chaux comme enduit isolant, et en litière pour animaux de compagnie). Ce mode de récolte est fastidieux, ce qui explique que sur 1500 ha prévus pour 2017 sur notre secteur, seuls 200- 300 ha resteront ainsi récoltés « à l’ancienne ». En effet, INTERVAL a acquis du matériel adapté et propose une prestation de récolte en partenariat avec un entrepreneur : 6 moissonneuses-batteuses équipées de becs Kemper, permettent de récolter le grain et de couper les tiges en brins de 50 cm. Une fois les pailles rouies et mises en andains, elles peuvent être pressées en balles carrées, parfaites pour une cadence optimisée de l’usine de transformation Eurochanvre.
Conseils de l'agriculteur
Cette culture demande peu d’interventions puisqu’aucun produit phytosanitaire n’est nécessaire : semis, épandage de lisier et récolte. Cette dernière phase reste la plus appréhendée par certains exploitants agricoles mais nous n’avons pas de problèmes :
- Je considère qu’on peut andainer et presser la paille «quand on veut». Il nous est déjà arrivé, certaines années très pluvieuses, de ne pas parvenir à la rouir convenablement à l’automne et de ne la presser qu’en février/mars. Dans ce cas, nous n’avons pas eu de perte de rendement et la paille, rouie très longtemps, a été essentiellement sous forme de fibre valorisée en plasturgie.
- Nous n’avons aucun problème de bourrage de presse. Cela pouvait arriver dans le passé lorsque le grain n’était pas récolté. En effet, seule la paille était recherchée (notamment pour l’isolation), et la récolte se faisait en plante entière, ce qui donnait des tiges de plus de 3m de haut à passer à la presse. Aujourd’hui, la moisson des grains enlève déjà tout le haut de la plante : ne restent que 1.5m à 2m : même en récolte « à l’ancienne » comme je le pratique, il n’y a pas de soucis. Et dans le cadre d’une récolte plus adaptée, avec le matériel proposé par INTERVAL, les tiges sont automatiquement coupées en sections de 50 cm : il n’y a donc rien à craindre !
Clés de réussite
- Semis en travail simplifié (décompactage) : levée satisfaisante, mais il faut de bonnes conditions d’implantation initiales.
- Sensibilité au manque d’eau à la levée et à la formation du grain, en revanche ensuite bonne résistance à la sécheresse en été. Pour cette raison, il est fréquent que les agriculteurs lui réservent les terres de graviers en bord de Loue, qu’il valorise bien.
- Pic d’activité en septembre, notamment pour la moisson du grain, où nous sommes en général bien pris par ailleurs,
- Après la fauche, en année trop humide, quand on voit que la paille ne sèche pas convenablement au champ, « il ne faut pas s’y énerver » ! Si on essaye à tout prix de l’andainer, elle va se défibrer au champ et perdre de la qualité : mieux vaut ne pas trop la travailler mais attendre de la reprendre en début de printemps, sans préjudice économique.
Bilan
Intérêts technico-économiques
- Cette culture est intéressante car il n’y pas de fluctuation des prix et le débouché est assuré.
- Résultats techniques en 2015 :
- En parcelle argilo calcaire de vallée irriguée 1 fois : marge équivalente à 137 qx de maïs (prix 2015) sur des terres où on aurait fait 110 qx de maïs/ha (irrigué 2 fois).
- En limons drainés : marge équivalente à 90 qx de maïs où on aurait fait 40 qx de maïs. S’il est vrai que 2015 a été une année particulière pour les cultures de maïs, cette comparaison reste tout à fait honorable, sans compter des charges de culture inférieures à celles du maïs (pas de phytosanitaires, pas d’engrais minéraux, moins d’irrigation).
- En terme économique :
- En moyenne en 2015, la marge brute du chanvre a été de 642 €/ha, sur la base de 1680 € recettes/ha : 390 €/ha d’aide PAC, 660 € de vente de paille (5,5 t paille/ha x 120 €/t) + 630 €/ha de vente du grain (900 kg/ha x 700 €/t).
- La marge brute du chanvre est donc également supérieure à celle du blé, estimée à 527 €/ha. Pour 2016, le prix de la paille reste relativement stable, tandis que le prix du grain est monté à 1000 €/t du fait d’une réelle demande et d’une offre qui stagne à l’échelle nationale par manque d’outils industriels.
- On n’observe pas de limaces en blé après culture de chanvre : je n’ai pas d’explication mais c’est très marquant, même en année humide !
- Le chanvre apporte une très bonne structure de sol, en raison du développement de son système racinaire pivotant profond à croissance rapide, si la levée s’est déroulée dans de bonnes conditions
Intérêts environnementaux
- Aucun produit phytosanitaire utilisé,
- Peu de besoins en eau, pas d’irrigation sauf lors de la formation du grain, si nous disposons de temps (ce n’est pas une priorité)
- Pas d’usage d’anti-limaces sur un blé précédent chanvre ; la comparaison est surprenante par rapport à un blé de colza !
Points de vigilance et limites
- Il ne faut pas cantonner le chanvre à la valorisation de ses mauvais sols : il n’aime pas l’excès d’humidité, le tassement, les sols acides.
- La culture de chanvre ne donne lieu à aucun problème sanitaire à ce jour, elle peut être sensible aux limaces à la levée, et elle n’est pas toujours efficace à 100% pour étouffer les adventices. Il faut reconnaître qu’en printemps très humide, certaines d’entre elles peuvent poser problème : renouées, chénopodes, sétaires, panic… Exceptionnellement, la paille de chanvre récoltée dans ce contexte est difficile à traiter à l’usine et peut faire l’objet de décotes voire de refus. Toutefois, aucun produit phytosanitaire n’étant homologué sur cette culture, nous n’avons pas de solution dans ce cas de figure particulier.
Annexes
Leviers évoqués dans ce système