Beauveria bassiana : un champignon pour lutter efficacement contre les ravageurs

Utilisé depuis plus d’un siècle, Beauveria bassiana est un champignon entomopathogène aujourd’hui reconnu comme un outil efficace de biocontrôle. Présent naturellement dans les sols, il permet de lutter contre de nombreux ravageurs en limitant l’usage d’insecticides chimiques. Grâce à son mode d’action original, il s’inscrit dans les démarches de protection intégrée des cultures, notamment en Agriculture Biologique.
Origine de la pratique et principe
Beauveria bassiana est un champignon entomopathogène naturellement présent dans les sols de nombreuses régions tempérées[1]. Il est utilisé en lutte biologique depuis le XIXᵉ siècle. Découvert en 1835 par Agostino Bassi comme agent de la muscardine blanche chez le ver à soie, il est aujourd’hui reconnu pour son efficacité contre de nombreux ravageurs en arboriculture, notamment dans la protection du pommier en Agriculture Biologique [2]. Il est classé comme substance active à faible risque selon le règlement (UE) n° 540/2011[3], et homologué en agriculture biologique dans plusieurs spécialités commerciales (Naturalis, BotaniGard)[4]. Son efficacité repose sur sa capacité à infecter directement les insectes, entraînant leur mort et favorisant une dissémination secondaire dans le milieu. Ce champignon est relativement sélectif : il cible principalement les insectes ravageurs sans affecter significativement les insectes utiles ou d’autres organismes non ciblés, ce qui en fait un outil adapté à une gestion intégrée des cultures.
Description de la technique
B. bassiana agit par contact. Ses conidies, en présence d’un hôte sensible, adhèrent à la surface de l’insecte et y germent, infectant celui-ci sans besoin d’ingestion. Il se développe à l'intérieur de l'organisme, provoquant la mort de l’hôte par déshydratation. Ce mode d’action rend tous les stades (œuf, larve, adulte) sensibles, et l'insecte infecté peut transmettre le champignon à d'autres individus lors de ses déplacements. Cette capacité en fait un allié intéressant contre des ravageurs variés, comme les aleurodes sur cultures de tomate[5]. Toutefois, sa sélectivité n’est pas absolue : certains auxiliaires sensibles peuvent également être affectés, ce qui nécessite de cibler précisément les applications afin de préserver les insectes utiles.
La pénétration est facilitée par une production enzymatique ciblée : chitinases, protéases et lipases attaquent les composants de la cuticule. Une fois dans l’hémocoele, le champignon colonise l’ensemble des tissus et libère des toxines, dont la beauvericine, qui accélèrent la létalité [6][7]. Cette toxine cible les cellules des insectes en perturbant leurs membranes, mais peut aussi présenter une certaine toxicité vis-à-vis des cellules de mammifères à forte dose. Son usage en biocontrôle reste toutefois encadré, avec des formulations commerciales évaluées pour leur innocuité vis-à-vis de l’homme et de l’environnement.
L’infection entraîne la mort de l’insecte en 3 à 7 jours, en fonction de la virulence de la souche, de la dose appliquée et des conditions environnementales[8][9]. Le corps du ravageur devient alors un support pour le développement externe du champignon, avec émission de nouvelles spores, ce qui crée un cycle infectieux secondaire dans la culture[1].
Précision sur la technique
Beauveria bassiana présente un spectre d’action très étendu, avec plus de 700 espèces cibles recensées, appartenant à divers ordres : Homoptères (pucerons), Thysanoptères (thrips), Hémiptères (aleurodes, famille Aleyrodidae), Diptères (mouches des fruits), Acariens, Coléoptères (charançons, altises, famille Curculionidae) et Lépidoptères [1][3].
La vitesse d’action du champignon dépend toutefois de plusieurs facteurs, notamment de la souche utilisée, des doses appliquées et des conditions climatiques, ce qui explique un délai de 3 à 7 jours avant la mort des insectes infectés[5]. En raison de la cinétique d’action relativement lente, il est recommandé de ne pas attendre l’explosion des populations : l’application doit être anticipée dès les premiers signes d’infestation, notamment chez les espèces où le stade larvaire est le plus vulnérable.
L’efficacité du traitement dépend étroitement des conditions abiotiques (température, hygrométrie, rayonnement UV) et de la formulation utilisée.
Par ailleurs, des essais comparatifs montrent que les émulsions huileuses et les formulations microencapsulées offrent une meilleure protection des conidies face au dessèchement ou aux UV, et améliorent significativement le taux de mortalité chez les ravageurs cibles, par rapport aux poudres mouillables classiques[3][4][8].
Mise en œuvre et utilisation
L’application de B. bassiana s’effectue majoritairement par pulvérisation foliaire, avec une pression modérée (2 à 3 bars) pour préserver l’efficacité des conidies. Des usages en traitement du sol sont également documentés pour certains ravageurs souterrains. Les conidies étant sensibles à la dessiccation et aux rayonnements UV, les interventions doivent être réalisées préférentiellement dans des conditions microclimatiques favorables : hygrométrie relative ≥ 60 %, températures comprises entre 18 et 30 °C, et faible ensoleillement (créneaux matinaux ou en fin de journée)[1].
La persistance du champignon dans le milieu étant limitée, plusieurs applications successives sont nécessaires (généralement 3 à 6 par cycle de ravageur) à 5 à 10 jours d’intervalle, en cohérence avec les cycles de développement des ravageurs ciblés et la pression parasitaire observée[3]. Les traitements doivent être renouvelés tous les 7 jours, ou tous les 3 à 5 jours en cas de forte pression parasitaire.
L’agent est généralement compatible avec d’autres leviers de lutte biologique, notamment certains auxiliaires entomophages comme Encarsia formosa (Hymenoptera, Aphelinidae), à condition d’éviter une application directe. Il est recommandé d’espacer les traitements et les lâchers d’auxiliaires afin de limiter les risques d’interactions négatives[10].
Par exemple, des essais en oléiculture ont montré une efficacité variable de B. bassiana contre la mouche de l’olive selon les conditions d’humidité et la fréquence des applications[11].
Matériel et coûts
L’application de Beauveria bassiana ne nécessite pas d’équipement spécifique : un pulvérisateur classique muni de buses à jet fin suffit, à condition d’assurer une couverture homogène du feuillage pour garantir le contact entre les conidies et les insectes cibles[3].
Le coût d’une application varie selon la formulation (poudre mouillable, émulsion huileuse, microencapsulation) et le fournisseur, mais reste généralement comparable à celui des insecticides conventionnels. En pratique, il oscille entre 50 et 150 € par hectare et par traitement, dans le cadre d’une stratégie de lutte intégrée.
Les formulations commerciales sont sensibles à la chaleur (> 30 °C) et à l’humidité excessive. Leur durée de conservation optimale se situe entre 6 et 12 mois, à condition d’être stockées dans un local tempéré (< 25 °C, HR < 50 %). Les formulations les plus élaborées offrent une meilleure protection des spores contre les UV et le dessèchement, mais présentent un coût unitaire plus élevé[4].
Échelle spatiale et technique de mise en œuvre
Beauveria bassiana s’applique à un large éventail de cultures : légumes, arbres fruitiers, vigne, horticulture, en plein champ ou sous abri. Ce champignon s’intègre aussi bien dans des systèmes biologiques que dans des itinéraires conventionnels visant à réduire les intrants. Les traitements multiples (3 à 6 applications) sont courants, mais une application unique peut suffire dans le cadre d’un programme de lutte intégrée (IPM) combinant d’autres leviers (parasitisme, filets, pièges), notamment en serre où le microclimat stable favorise l’efficacité et la rémanence.[10]
Les spécialités commerciales homologuées, telles que Naturalis® (souche ATCC 74040) et BotaniGard® (souche GHA), couvrent un large spectre de cultures et peuvent être utilisées en mono-application ou au sein de programmes combinés.
Les traitements doivent être réalisés en phase sensible du ravageur et dans des conditions climatiques favorables au développement fongique. Il est déconseillé d’intervenir en période de forte chaleur, de vent soutenu ou de sécheresse prolongée. En culture sous serre, l’efficacité est souvent accrue grâce au microclimat plus stable et humide[3].
Critères agronomiques, économiques et sociaux
L’intérêt agronomique de ce champignon repose sur sa capacité à limiter les populations de ravageurs tout en réduisant l’usage des insecticides chimiques. Cette réduction favorise la préservation des auxiliaires et de la biodiversité fonctionnelle, tout en retardant l’apparition de résistances chez les insectes. Le produit ne laisse pas de résidus sur les cultures et présente une toxicité très faible pour la faune non cible - qu’il s’agisse d’insectes auxiliaires, d’organismes du sol ou d’autres espèces comme les oiseaux - sous réserve de vérifier les formulations utilisées.[9]
Sur le plan économique, l’impact varie selon les systèmes. En cultures à forte valeur ajoutée, l’emploi de B. bassiana contribue à sécuriser les rendements et à maintenir la qualité sanitaire. Dans les systèmes conventionnels, il offre une alternative ou un relais efficace pour diminuer la dépendance aux molécules de synthèse[3].
D’un point de vue social, la réduction de l’exposition aux produits chimiques améliore la santé des applicateurs et répond aux attentes sociétales pour une agriculture durable. La technique bénéficie d’une bonne acceptabilité, notamment en raison des normes réglementaires encadrant les zones non traitées et l’utilisation de substances à faible risque[4].
Avantages et inconvénients
- Large spectre d’action sur les insectes
- Compatible avec les stratégies de lutte intégrée
- Aucune toxicité pour les plantes et les récoltes
- Substance active homologuée et utilisable en bio
- Réduction du risque de résistance chez les ravageurs
Inconvénients et limites [10][3][4]
- Efficacité réduite en conditions climatiques défavorables (sécheresse, UV)
- Action plus lente qu’un insecticide de contact chimique
- Nécessite plusieurs applications et des conditions d’humidité optimales
- Risques d’interactions avec certains auxiliaires ou micro-organismes du sol
Règlementations
Beauveria bassiana est inscrit au règlement (CE) n° 1107/2009 relatif à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, et approuvé comme substance active depuis 2009. Il figure à l’annexe du règlement d’exécution (UE) 540/2011 parmi les substances dites « à faible risque » (low-risk active substances, au sens de l’article 22), sous le code UE 1302.[12] Son inscription permet l’usage en agriculture biologique, mais il est recommandé aux producteurs bio de vérifier, pour chaque produit commercial, la mention « utilisable en AB », car toutes les formulations ne disposent pas forcément de cette homologation.
Les produits à base de B. bassiana sont reconnus sûrs pour les utilisateurs, à condition de respecter les mesures de protection individuelle (gants, lunettes, masque). Des cas rares d’infections opportunistes ont été signalés chez des personnes immunodéprimées exposées de manière prolongée, sans remettre en cause la sécurité d’usage en contexte agricole.
Accès aux formulations commerciales de B. bassiana
En France, les formulations actuellement homologuées sont principalement des poudres mouillables (WP) ou des huiles OD, bien que certaines microencapsulations soient en cours d’expérimentation.
Naturalis - Beauveria bassiana ATCC 74040 (huile OD)
- Fiche produit : Biogard / CBC — formulation huileuse OD, sans LMR, délai de rentrée 3 jours, compatible AB.
- Vente en ligne (ex. agrégateurs bio, coopératives comme Unéal) : Naturalis 1 L, souche ATCC 74040.
BotaniGard 22 WP - Beauveria bassiana souche GHA (poudre mouillable)
- Site officiel (Certis Belchim France) : poudre 500 g, homologuée, délai de rentrée 8 h, usage en AB.
- Disponible via Amazon France (0,5 kg) et plateformes comme eBay et DoMyOwn.com (environ 1 lb / 0,45 kg).
Où commander ?
- Distributeurs spécialisés : Certis Belchim, De Sangosse ou groupes professionnels (Unéal, Agrigem) — via coopératives ou circuits pro.
- Marketplaces généralistes : Amazon, eBay, DoMyOwn.com — attention aux réglementations et certificats requis (Certiphyto, licences applicateurs).
Sources
- ↑ 1,0 1,1 1,2 1,3 et 1,4 Vinopôle (s.d.). Beauveria bassiana.
- ↑ Nature-Action Québec (2012). Méthodes alternatives de protection des pommiers.
- ↑ 3,0 3,1 3,2 3,3 3,4 3,5 3,6 et 3,7 Wiki Triple Performance (s.d.). Pratiquer le biocontrôle en maraîchage.
- ↑ 4,0 4,1 4,2 4,3 et 4,4 ANSES (2022). Fiche produit BotaniGard 22 WP.
- ↑ 5,0 et 5,1 Koppert (s.d.). Comment s’en sortir face à l’aleurode ?
- ↑ INRAE, (2020). Document scientifique sur Beauveria bassiana
- ↑ ScienceDirect (2018). Article scientifique sur Beauveria bassiana et mécanismes d’action.
- ↑ 8,0 et 8,1 ANSES (2022). Fiche produit Naturalis.
- ↑ 9,0 9,1 et 9,2 Symborg (s.d.). Beauveria bassiana.
- ↑ 10,0 10,1 10,2 et 10,3 Ecophyto Pic (s.d.). Lutter contre les insectes piqueurs au moyen d’un microorganisme de biocontrôle.
- ↑ AFIDOL (2018). Compte-rendu CR06_2018.
- ↑ Union européenne (2019). Règlement d’exécution (UE) 2019/139 de la Commission du 30 janvier 2019 approuvant la substance active Beauveria bassiana 147 dans le cadre du règlement (CE) n° 1107/2009. Journal officiel de l’Union européenne, L27/8.