Autonomie en protéines
Production fourragère, efficience protéique, résilience économique, impacts environnementaux, réflexion agronomique...
L'autonomie protéique est généralement définie comme "la part des besoins en protéines d'un (ou plusieurs) atelier d'élevage qui est couverte par les productions végétales de l'exploitation"[1]. Cet article introductif a pour but de présenter les principaux enjeux et pistes de développement autour de la problématique d'autonomie en protéines.
Définition
De manière générale, l’autonomie en protéines se rapporte à la capacité d'un territoire à subvenir aux besoins alimentaires protéiques de ses élevages, mais cette notion de territoire est relative : il ne s’agit pas forcément de l’exploitation, car l’autonomie peut s'étudier à des échelles plus larges : commune, coopérative, AOP, pays etc.[2]. De la même manière, l'autonomie en protéines peut être étudiée en distinguant l'autonomie fourragère de l'autonomie en concentrés [3], puisqu'à l'échelle de la France cette dernière est proportionnellement plus faible [4].
L'autonomie protéique s'exprime par le pourcentage des aliments autoproduits sur le total des aliments consommés annuellement par un atelier d'élevage, l'unité la plus souvent retenue est la MAT (Matière Azotée Totale).
On considère ainsi en France que pour les filières allaitantes, le niveau moyen d'autonomie protéique est d'environ 80%, contre 70% pour les élevages laitiers (ovins et bovins) et seulement 47% pour les exploitations caprines[5]. Ces valeurs moyennes cachent de nombreuses disparités, et la question de leur accroissement fait l'objet de divers plans nationaux (ex : CAP protéines) ou régionaux (ex : SOS - Protéines), afin de répondre à un certain nombre d'enjeux présentés ci-dessous.
Enjeux et contexte
Enjeux économiques
Résilience économique
L'autonomie protéique, et plus largement l'autonomie alimentaire des élevages, a pour avantage et souvent pour objectif d'offrir une certaine stabilité économique.
En effet, elle peut permettre notamment de réduire la dépendance aux achats des Matières Riches en Protéines (matières contenant au moins 15% de matière azotées, abrégées MRP). C'est par exemple le cas des tourteaux de soja, dont la variabilité des cours est très forte[1] et peut évoluer du simple au double en l'espace de quelques mois.
En période de fortes perturbations économiques, cette variabilité des cours peut être encore plus grande, au gré d'aléas et de décisions des pays exportateurs. Car depuis plus d'une décennie, seuls trois pays exportent une très large majorité des tourteaux de soja dans le monde : L'Argentine, le Brésil et les Etats-Unis d'Amérique. Entre 2015 et 2020 ils représentent en moyenne à eux trois 80% des exportations mondiales.
Cette asymétrie renforce davantage la volatilité des cours mondiaux, et notamment en période de tensions géopolitiques ou économiques, voire d'aléas climatiques. On peut notamment citer les exemples de l'embargo américain de 1973 sur ses exportations suite à une sécheresse sans précédent[6], ou plus récemment lorsque l'Argentine a menacé de stopper ses exportations à la mi-mars 2022 pour rehausser les taxes sur cette matière première, immobilisant ainsi 41% de la production mondiale[7].
Accroître l'autonomie protéique d'un état, d'un territoire ou d'une exploitation permet donc à celui-ci d'être bien moins dépendant d'un marché mondial très fluctuant et instable, et qui tend à le devenir de plus en plus.
Attention cependant à ne pas confondre totalement autonomie et résilience. L’autonomie permet de s’abstraire partiellement des marchés mondiaux, mais ne permet pas de se protéger de l’impact d’une mauvaise année (sécheresse, etc…). Elle doit donc se concevoir de manière systémique en incluant des capacités de stockage ou d’approvisionnement tiers en cas de défaut au niveau local.
Coûts de production
Plusieurs études tendent à prouver qu'un accroissement de l'autonomie protéique (et de l'autonomie alimentaire au sens large) s'accompagne ainsi d'une baisse du coût d'alimentation[8] [9], et parfois même d'une incidence positive sur la rentabilité de l'atelier.
Il est par exemple estimé qu'à l'échelle de la France, les ressources en protéines extérieures représentent près de 23% de la consommation totale en protéines du troupeau laitier mais 40% du coût alimentaire [4]. De fait, augmenter son autonomie protéique c'est donc rechercher une meilleure maîtrise des coûts de production, et ainsi être libre de trouver un optimal économique entre l'autoproduction et l'achat d'aliments selon les aléas.
Enjeux environnementaux
Relocaliser l'alimentation protéique des élevages s'inscrit évidemment dans la dynamique de réduction des impacts environnementaux de ces derniers.
Premièrement, il est reconnu que les aliments importés sous forme de tourteaux (de soja principalement) proviennent souvent de terres libérées par la déforestation (au Brésil et en Argentine notamment) [10].
Ensuite, l'importation de ces aliments concentrés a souvent pour effet de rompre ou perturber les cycles de l'azote locaux, en déplaçant des quantités importantes d'un continent à l'autre [11]. Dans les zones d'élevage intensif, sujettes à des phénomènes d'eutrophisation avancés, cette problématique est d'autant plus préoccupante puisqu'elle renforce ces derniers [12].
En outre, l'accroissement de l’autonomie protéique d'une exploitation s’accompagne en général d’une reconception de son système de culture. Elle intègre généralement une série de pratiques agroécologiques qui permettent une meilleure maîtrise des intrants, et notamment des fertilisants (cf. section #Les intérêts agronomiques de l'autonomie protéique).
En somme, accroître l'autonomie protéique d'un territoire ou d'une exploitation, via la production de protéines alternatives locales, permet de réduire les incitations à la déforestation ainsi qu'une certaine forme de déséquilibre azoté planétaire.
Enjeux sociaux
De même que pour les enjeux environnementaux, reconcevoir son système pour augmenter son autonomie en protéine peut être l'occasion d'introduire des pratiques qui dégagent plus de temps à l'agriculteur, ou bien qui intègrent de nouvelles composantes (déplacement des troupeaux dans les pâturages, etc...).
C'est par exemple le cas du Gaec Lusanbio à Lusanger (Pays de la Loire), une exploitation laitière en polyculture élevage dont le système de culture permet de concilier une autonomie alimentaire totale (semences inclues) avec un rapport EBE / Produit Brut de 70%, et 11 semaines de congé par an pour chaque associé.
Certains retours d'expérience montrent également une meilleure adéquation par rapport aux attentes sociétales. Quelques éleveurs trouvent ainsi l'occasion de reconcevoir la relation avec l'animal, dans une volonté d'augmenter le bien-être animal.
Sans être la raison première de la décision d'orienter son système vers plus d'autonomie protéique, l'ensemble de ces éléments sont à prendre en compte et à considérer dans le cadre d'une démarche de réflexion qui sera nécessairement holistique.
Ecoutez une série de podcasts des Chambres d'agriculture de Normandie sur le sujet en cliquant ici.
Les intérêts agronomiques de l'autonomie protéique
Une approche systémique
À l'échelle d'une exploitation, l'accroissement de l'autonomie protéique peut engendrer une baisse d'utilisation de certains intrants. C'est notamment le cas avec des pratiques telles que l'allongement et la diversification de la rotation qui permettent de rompre le cycle des ravageurs (intégration de cultures fourragères, de prairies temporaires, de couverts pâturables ...). Cet impact sur l'usage d'intrants est d'autant plus fort avec des cultures étouffantes, des légumineuses ou des espèces peu consommatrices d'azote, voire encore des cultures associées plus résilientes (ex. méteils).
Réciproquement, l'amélioration de l'autonomie protéique ne constitue parfois qu'un objectif au sein de la stratégie agronomique globale de l'exploitation. Elle est parfois le résultat d'une approche plus holistique, visant à multiplier les sources de revenu, ou à renforcer une logique de production : comme la séquestration de carbone atmosphérique, la protection intégrée des cultures ou l'agriculture de conservation des sols par exemple.
Notre guide sur l'autonomie protéique en élevage de ruminants
Pour accroître l'autonomie protéique d'une exploitation ou d'un territoire, il existe une grande diversité de leviers pouvant être actionnés avec plus ou moins d'efficacité selon les contextes (techniques, pédoclimatiques, géographiques, économiques etc.).
Ci-dessous figurent une série de guides pratiques pour chaque grande famille de solutions sur cette thématique d'autonomie en protéines :
- Autonomie en protéines
- Appréhender les besoins protéiques des ruminants
- Valoriser les prairies pour accroitre l'autonomie protéique
- Produire des cultures fourragères riches en protéines
- Produire et consommer localement des concentrés protéiques
- Transformer et stocker les ressources alimentaires protéiques
Articles dans cette thématique
Références
- ↑ 1,0 et 1,1 S. Pellerin, INRAE, Autonomie protéique des élevages et gestion de l'azote : quels sont les enjeux ? 2020. https://www.inrae.fr/sites/default/files/pdf/3RDF2020-Actes_DEF.pdf
- ↑ P. Brunschwig et al., IDELE, Plaquette autonomie alimentaire, 2012. http://idele.fr/fileadmin/medias/Documents/Plaquette_autonomie_alimentaire_des_troupeaux_bovins_en_France.pdf
- ↑ F. Fages et al., DicoAE, Autonomie alimentaire en concentrés et fourragères, 2016. https://dicoagroecologie.fr/encyclopedie/autonomie-alimentaire-en-concentres-et-fourragere/
- ↑ 4,0 et 4,1 B. Rouillé et al., L'autonomie alimentaire des élevages bovins français, IDELE, 2014. https://www.ocl-journal.org/en/index.php?option=com_article&url=/articles/ocl/full_html/2014/04/ocl140017/ocl140017.html
- ↑ O. Dupuire, Autonomie protéique des élevages, une nécessité d'avenir, Revue Paysans et Société, pages 40 à 46, 2021. https://www.cairn.info/revue-paysan-et-societe-2021-5-page-40.htm
- ↑ R. Huppert, Archives du journal Le MONDE, La pénurie de soja américain révèle l'insuffisance des sources françaises de protéines, 1973. https://www.lemonde.fr/archives/article/1973/07/06/la-penurie-de-soja-americain-revele-l-insuffisance-des-sources-francaises-de-proteines_2568252_1819218.html
- ↑ F. Cup, Buiseness Am, L’Argentine stoppe ses exportations de soja : 41% de la production mondiale s’arrête, mars 2022. https://fr.businessam.be/largentine-stoppe-ses-exportations-de-soja-41-de-la-production-mondiale-sarrete/
- ↑ C. Batthieu-Noirfalise et al., Quelles stratégies d’autonomie protéique pour quelles performances économiques et environnementales ? Étude de la production laitière en Région Wallonne. Centre wallon de Recherches agronomiques, 2020. https://www.cra.wallonie.be/uploads/2021/04/3r_2020_autonomie_proteique_publie.pdf
- ↑ A. Férard et al., Analyse technique et économique de l’utilisation d’enrubannage ou d’ensilage de graminées et de légumineuses pour la finition des bovins, ARVALIS Institut du végétal, 2015. http://164.177.30.208/IMG/pdf/Texte__6_Alimentation_A-Ferard.pdf
- ↑ Y. Blavignat, Le Figaro Sciences, Pourquoi la France est-elle si dépendante du soja brésilien ? 2019 https://www.lefigaro.fr/sciences/pourquoi-la-france-est-elle-si-dependante-du-soja-bresilien-20190920
- ↑ J. Le Noë, et al., La place du transport de denrées agricoles dans le cycle biogéochimique de l’azote en France : un aspect de la spécialisation des territoires. Cahiers Agricultures, EDP Sciences, 2016, 25, pp.UNSP 15004. ⟨10.1051/cagri/2016002⟩. ⟨hal-01304055⟩ https://hal.sorbonne-universite.fr/hal-01304055/
- ↑ S. Pellerin, T. Nesme, Flux de phosphore associés à l'élevage et conséquences sur la fertilité phosphatée des sols : analyse à plusieurs échelles, Journées AFPF La fertilité des sols dans les systèmes fourragers 8-9 Avril 2015. https://afpf-asso.fr/index.php?secured_download=2284&token=1c7eb1b12c5ed7189d725ef997c06504