Antoine Manteaux
Issu de l’école polytechnique et après une année de formation à AgroParisTech, Antoine Manteaux intègre en 2021 l’EPLEFPA Edgard Pisani en tant que directeur de l’exploitation du lycée de Naves. Sa prise de poste est marquée par la mise en place de différentes pratiques agroécologiques appliquées à :
- L’atelier élevage :
- Réduction des antibiotiques
- Pâturage tournant dynamique
- Réduction de l’intervalle vêlage-vêlage
- A la préservation de l’environnement :
- Préservation des zones humides
- Installation de haies
Contexte
- Nom : Antoine Manteaux
- Localisation : Naves, Corrèze (19)
- Productions : Bovins viande, veaux rosés
- SAU : 220 ha
- UTH : 2,5
- Label : Agriculture Biologique
- Cultures : 3 méteils différents (épeautre/féverole/lupin, blé/pois fourrager, avoine/pois fourrager) pour l’alimentation du troupeau
- Rotation : 3 ans de méteil ressemé chaque année puis 5 ans de prairie naturelle (rotation totale de 8 ans)
- Cheptel : 120 mères, veaux rosés sous la mère, 20 chevaux
- Modes de commercialisation : Coopérative SCA Le Pré Vert, Biocoop, restauration
- Historique :
- 1970 : Création de l’exploitation en même temps que le lycée. Elle est spécialisée en élevage bovin et porcin.
- 1998 : Conversion de la moitié de la production en agriculture biologique sous l’impulsion de l’ancien directeur d’exploitation Hervé Longy. Malgré les contestations au sein du lycée, ce changement fait ses preuves et en 10 ans le cheptel bio se montre plus rentable.
- 2008 : L’entièreté de la ferme passe donc en bovins viande bio.
- 2012 : C’est au tour de l’atelier porcin d’être converti.
- 2017 : Le centre équestre est créé mais fait faillite au bout de 4 ans, entraînant la perte de 700 000€. Au prix d’efforts menés au cours des 2 dernières années, le bilan économique de la ferme a depuis été remis à l’équilibre.
- 2022 : Antoine prend son poste de directeur d’exploitation du lycée. L’exploitation a abandonné l’élevage porcin (bâtiment non adapté au gel) et se consacre désormais aux bovins viande bio et ses améliorations. La ferme se situe en zone montagnarde et la majorité des parcelles du département sont entourées de bois.
Spécificités
L’exploitation du lycée agricole est en Agriculture Biologique depuis 1998, tandis que seulement 10% des exploitations sont en AB en Corrèze. De plus, l’exploitation était en difficulté financière ces dernières années, et a retrouvé son équilibre l’année dernière.
Motivations et objectifs
- Éléments déclencheurs pour la mise en œuvre des pratiques : Antoine était auparavant à Paris, il décrit son entourage comme étant la sphère écolo gauchiste très militante. Avant d’arriver en Corrèze, il ne mangeait que du bio et peu de viande. La réalité du terrain sur la ferme et les enjeux associés à l’élevage lui ont fait prendre du recul sur la réticence de certains concernant les pratiques favorisant la biodiversité. Antoine a toujours aimé la nature et l’agriculture, notamment par le biais de ses grands-parents, fils et fille d’agriculteurs. Il a donc souhaité mettre en place ces pratiques pour montrer qu’il est possible d’allier l’élevage bovin et les pratiques respectueuses de l’environnement en axant son discours sur la possibilité de rentabilité de cette association.
- Objectifs : Rendre l’élevage bovin plus respectueux de l’environnement et sensibiliser les jeunes des écoles à cette diversité de pratiques.
Descriptif du système actuel
L’exploitation a une SAU de 220 ha dont 25 ha de méteil pour la complémentation des veaux, 5 ha de prairie temporaire et le reste en prairie permanente.
Antoine apporte uniquement le fumier des vaches et des chevaux sur les parcelles :
- 20 t/ha sur les cultures de méteil
- 10 t/ha sur les prairies fauchées
Il n’ajoute pas d’engrais minéraux et n’utilise pas de produits phytosanitaires sur les parcelles.
Antoine utilise peu d’antibiotiques sur son cheptel. Il fait des analyses de coprophages sur les lots qu’il envoie dans un laboratoire. Il peut détecter s’il y a présence d’un parasite pour traiter l’animal.
Mise en place de haies
L’exploitation vise actuellement (janvier-février 2025) à planter des haies. Le paysage alentour est très boisé, l’enjeu ici est de reconstituer des milieux d’interface plus diversifiés que les bois déjà présents. De plus, le Label Haie de la PAC permet de financer les fermes qui ont plus de 7% de la SAU en haie. L’objectif est ainsi de monter à 2 km de haies sur l’exploitation et de tester différentes essences et analyser leurs fonctions spécifiques.
- Essences utilisées : Essences locales dont groseillier, cornouiller sanguin, aubépine, tilleul.
- Fonctions :
- Créer des zones d’ombrage pour protéger les bêtes de la chaleur
- Agir comme brise-vents
- Ajouter une ressource fourragère supplémentaire
- Accueillir la biodiversité locale
- Sensibilisation des élèves
Cet atelier est l’occasion de sensibiliser les élèves à l’installation d’infrastructures agroécologiques alors que ces derniers se montrent réticents face aux pratiques agroécologiques prônées par leurs professeurs. Au moins cette activité permet-elle d’entamer une réflexion sur la mise en place de ces abris qu’ils pourront remobiliser plus tard sur leur exploitation.
1 km a déjà été implanté la semaine dernière (début février 2025) en 2 jours et demi à l’aide de 30 élèves du lycée, le reste sera installé l’année prochaine. Avec cette main-d'œuvre supplémentaire, l’installation est ainsi rapide. En outre, l’État aide à 100% l’installation et la main d'œuvre (aide spécifique pour les investissements des lycées agricoles).
- Points de vigilance :
- Bien organiser l’emplacement des haies pour que ça ne gène pas le trajet des tracteurs (mais en anticipant bien, il est possible de mettre des haies sans problème)
- Mise en place de clôture en plus pour protéger les jeunes arbres des bovins
- Entretien nécessaire par la suite
Préservation des zones humides
Projet en cours. Un îlot de parcelles de la ferme accueille un ruisseau. Jusqu’alors les vaches pouvaient boire et se déplacer sans contrainte sur la zone. Cependant, on remarque aujourd’hui les conséquences néfastes de ce choix :
- Dégradation des berges du cours d’eau (interface berge détériorée)
- Piétinement
- Création de turbidité (terres et déjections remuées)
- Eutrophisation par l’apport d’azote des bouses
- Ressources en eau non suffisantes pour 30 vaches qui boivent en même temps
- Enjeu zootechnique : Les bouses souillent le cours d’eau et entraînent la pullulation de parasites qui contaminent les vaches qui s’abreuvent
- Projet : Mise en place de clôtures et de passages à gué pour délimiter les aires d’abreuvement.
Financement à 80% par l’agence de l’eau (comme pour les exploitations hors lycée), travail avec le conservatoire des espaces naturels, eaux et rivières.
- Point de vigilance : Accès à l’eau à gérer.
Réduction des antibiotiques et pâturage tournant dynamique
Depuis son arrivée il y a 2 ans et demi, Antoine cherche à réduire l’utilisation des antibiotiques. Il qualifie les méthodes anciennes de “bourrines” avec 2 traitements antiparasitaires à l’année. Le traitement était aussi administré dès lors de l’apparition d’un “poil moche” de façon systématique sur tout le cheptel. Aujourd’hui, Antoine porte de l’importance à cette réduction et utilise le principe de pâturage tournant dynamique. En effet, le cycle d’un parasite dure 21 jours et Antoine fait tourner son cheptel de sorte à ne pas le faire revenir avant 30 jours sur un même paddock. Les vaches sont en bâtiment en hiver (novembre-mars) et sont en pâture le reste de l’année.
- Difficultés rencontrées :
- Temps pour changer les vaches de paddocks
- Redécoupage des parcelles à bien anticiper
- La consommation d’herbe des veaux au pâturage doit être maximisée de sorte que leur taux de croissance soit optimal pour une dose réduite de concentrés consommés. Cela permet d’augmenter l’efficience de la production de viande (compétition feed/food). Il faut donc tourner assez souvent les lieux de pâturage afin que les veaux cherchent au minimum à consommer la farine de céréales et protéagineux en accès libre pour eux.
- Opportunités :
- Sensibilisation des élèves avec manipulations zootechniques d’élèves d’autres écoles vétérinaires
- Meilleure gestion de la consommation d’herbe, puisqu’elle est consommée au moment où elle est riche en protéines
- Les avantages des pratiques mises en place :
- Réduction des coûts associés au traitement des parasites
- Réduction de l’utilisation de molécules nocives pour la biodiversité et notamment les coprophages
- Le pâturage tournant permet de limiter l’apport de complément (farine de céréales) pour les veaux et de les habituer petit à petit au pâturage
Réduction de l’âge de vêlage
Le principe de cette pratique est de réduire l’âge du premier vêlage d’une vache pour qu’elle puisse produire plus dans sa vie de mère. Normalement, l’âge de vêlage est de 36 mois en vache allaitante et de 24 mois en vache laitière. Antoine a pu descendre à 32 mois.
- Difficultés rencontrées :
- Impossible de descendre en dessous de 32 mois
- Difficulté à nourrir suffisamment la génisse avec les ressources de la ferme pour qu’elle puisse avoir une croissance suffisante pour vêler à 32 mois
Faire moins cher ou plus rapidement ? Possibilité d’apporter plus de concentrés mais perte d’intérêt de l’autonomie alimentaire.
- Les avantages des pratiques mises en place :
- Plus de production de veaux pour la période de production de la vache.
- Réduire les émissions de GES (gaz à effet de serre) des vaches par kilo de viande produite en minimisant l’intervalle vêlage-vêlage (objectif d’augmenter la production par quantité d’aliments consommée).
Résultats constatés des nouvelles pratiques
- Réduction antibiotiques : Depuis sa mise en place, Antoine a constaté une division par 3 du nombre de vaches parasitées et une réduction de traitements de 4 à 6 grâce au pâturage tournant dynamique.
- Réduction de l'âge de vêlage : L’indicateur pour déclencher le premier vêlage est le poids : 420 kg (32 mois). Cela semble être le bon compromis selon Antoine.
Autonomie alimentaire de l’exploitation
L'exploitation a atteint l'autonomie alimentaire depuis 2023.
L’exploitation du lycée produit elle-même :
- Ses fourrages (séchage en botte) : ensilage, enrubannage et foin
- Ses compléments alimentaires : méteil, pois fourragers, etc.
Concernant les fourrages, l’exploitation réalise ses fauches assez tôt, entre 800 et 1000 °Cj, et réalise notamment du déprimage. Les fauches sont idéalement réalisées dans une bonne fenêtre météo, avec une absence de pluie avant la fauche et 4 à 5 jours de beau temps prévus ensuite.
- Objectif : Atteindre une MAT de 14-16%.
- Difficultés :
- Atteindre une bonne MAT (actuellement à 12%)
- Trouver la bonne fenêtre météo pour faucher puis faner (problématique de la pluie)
- Opportunités : Fertilisation des parcelles de céréales et de prairies fauchées avec le fumier.
- Résultats :
- Autonomie alimentaire quasiment atteinte
- Pas d’achats de compléments alimentaires
- Avantages :
- Autonomie en aliment du troupeau
- Autonomie en semences, car une partie des graines est semée l’année suivante
- Limitation de l’apport de concentrés
- Pas d’apport de concentrés issus du soja brésilien
- Points de vigilance :
- Engraissement limité avec la ration obtenue relativement faible en protéines (MAT de 12% au lieu de 14-16%), ce qui a des conséquences sur les résultats économiques
- Rendements en protéagineux aléatoires
- Développement de souris et de charançons dans les silos, la solution est de vider les silos et passer le chalumeau
Coûts liés aux pratiques agroécologiques
Haies
- Achat des plants de haies de différentes espèces
- Main d’œuvre pour la plantation
Préservation des berges
- Clôtures
- Main d’œuvre pour la mise en place
- Broyeur sous clôture
Réduction des antibiotiques
- Analyses coprophages (15€ l’analyse)
- Clôtures pour le pâturage tournant dynamique
- Temps de travail quotidien pour changer les bovins de parcelle
Commercialisation
- Les veaux rosés sont commercialisés à la coopérative SCA Le Pré Vert. Ils sont ensuite distribués dans le réseau Biocoop et dans la restauration collective.
- Un indicateur pour la vente des vaches de réforme engraissée est le “remplissement total des vaches” jugé à l’œil nu, un bourrelet de gras doit être présent juste derrière la queue (espace creux quand elles ne sont pas encore engraissées).
- Dans un futur proche, la vente directe devrait être relancée, en commençant par exemple avec la cantine du lycée.
- Cas des broutards : La vente des broutards pourrait être intéressante, mais elle est impossible en Agriculture Biologique car l’engraissement s’effectue systématiquement en conventionnel, pour la plupart en Italie. De plus, le cours de la viande de broutard est aujourd’hui plus élevé en conventionnel qu’en agriculture biologique, ce qui dissuade de vendre en AB.
Bilan financier
- En 2024, l’exploitation retrouve son équilibre financier.
- Aides perçues :
- ICHN (Indice Compensatoire au Handicap Naturel) (PAC)
- Aides bovines (PAC)
- Aides au maintien en AB (région Nouvelle-Aquitaine)
- Surcoût pédagogique de 30 000 € (région Nouvelle-Aquitaine)
- Aides à l’investissement de 60% pour le broyeur sous clôture (région Nouvelle-Aquitaine)
- Haies financées à 100% avec la main d’œuvre (PAC)
- Clôtures de protection des berges financées à 80% (Agence de l’Eau)
- Diminution des charges grâce à l’autonomie alimentaire et au raisonnement de l’usage des antibiotiques avec les analyses coprophages.
Perspectives
Antoine pense que le principal frein à la transition agroécologique est culturel. Les élèves ont hérité de la vision productiviste de leurs parents encouragée par l’État il y a 40 ans. Aujourd’hui, ils se sentiraient menacés par la société et sont sur la défensive par rapport à ce que recommande l’État. Antoine témoigne même d’une dynamique délétère avec la marginalisation des élèves sensibles à l’écologie non issus du milieu agricole ou provenant d’une famille d’agriculteurs bios au sein du lycée.
Conseils de l’agriculteur
“Qu’on soit en bio ou pas, le passage à l’autonomie alimentaire est très intéressant”, remarque Antoine.
Antoine invite les agriculteurs à prendre du recul par rapport à leurs pratiques et à ne pas systématiquement adopter la logique de “faisons comme on a toujours fait” (exemple des analyses de coprophages qui, pour seulement 15 euros, permettent des traitements ciblés et d’éviter les traitements généraux à 120 euros le bidon pour 25 bêtes).
La plupart du temps, Antoine remarque qu’essayer de “faire en dépensant moins” permet de produire autant.
Source
Interview d'Antoine Manteaux réalisée le 10/02/2025 par Élea Missonnier, Mélodie Calvier, Elise Gatel, étudiants en agronomie à l'Institut Agro Montpellier.